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Ali et Frazier, une belle amitié qui tourne à la rivalité nauséabonde


Mohamed Ali et Joe Frazier sur le ring à Manille, Philippines, le 1 octobre 1974.
Mohamed Ali et Joe Frazier sur le ring à Manille, Philippines, le 1 octobre 1974.

La rivalité sur le ring entre Mohamed Ali et Joe Frazier, conclue par le mythique "Thrilla in Manila" (Thriller à Manille) en 1975, restera comme un monumental triptyque dans l'histoire des grands duels sportifs, mais cache une triste histoire d'amitié perdue.

Ce devait être un conte chevaleresque: deux hommes se battant jusqu'au sang entre quatre cordes avant de redevenir amis. Mais Frazier a mieux digéré les coups de poing que les coups bas d'Ali, décédé vendredi et qui fut son ami dans les années 1960.

Ali est ostracisé après son refus de combattre au Vietnam. Déchu de ses titres, interdit de boxer et mal vu d'une grande partie de l'Amérique, il est soutenu par Frazier, qui prête de l'argent et intercède auprès du président Richard Nixon pour qu'il remonte officiellement sur un ring.

Mais leur amitié prend un premier coup lors du "Match du siècle", qu'il les oppose le 8 mars 1971 au Madison Square Garden de New York.

Oublié le soutien! Ali, devenu activiste forcené de la cause des noirs, n'a de cesse d'insulter son adversaire à l'approche du match: "Joe Frazier est un Oncle Tom (personnage du roman éponyme d'Harriet Beecher Stowe, symbole de l'esclave). Il travaille pour l'ennemi", l'"establishment blanc".

Provocation ou réel sentiment?

Provocation à fin promotionnelle ou réel sentiment? Toujours est-il que Frazier, fils de métayers de l'Alabama victime de racisme dans son enfance, a été profondément touché.

Dans son autobiographie parue en 1996, il décrit "une tentative cynique de (le) faire (se) sentir isolé de (son) propre peuple". "Il pensait que ça m'affaiblirait en vue de notre rencontre sur le ring. Et bien, il avait tort. Cela ne m'a pas affaibli mais m'a ouvert les yeux sur quel putain de mauvais joueur il était".

Sur le ring, Frazier s'est défoulé durant 15 rounds avant d'être déclaré vainqueur sur décision unanime des juges.

L'animosité définira désormais leurs rapports. Après la revanche d'Ali en 1974, elle deviendra de plus en plus violente et nauséabonde, pour atteindre son paroxysme à l'approche du "Thrilla in Manila", le 1er octobre 1975.

Ali attaque alors l'apparence de Frazier, qu'il traite de "gorille". "Joe Frazier devrait donner son visage au Fonds mondial pour la nature (WWF, ndlr)! Il est si laid que les aveugles s'en écartent. Non seulement il n'est pas beau mais on peut le sentir depuis l'étranger. Que vont penser les gens à Manille? Que les frères noirs sont des animaux. Qu'ils sont ignorants, stupides, laids et puants", déclare-t-il.

Frazier répond qu'il lui "arrachera le coeur" sur le ring.

"C'est un homme"

Le combat, féroce et sanglant, tourne à l'avantage d'Ali: les yeux gonflés et quasiment fermés, Frazier veut continuer mais son entraîneur jette l'éponge entre les 14e et 15e rounds.

Vainqueur, Ali semble retrouver son sens commun et ses sentiments de naguère. "Je ne veux plus jamais entendre quiconque dire du mal de Joe Frazier! Il est l'homme le plus dur au mal du monde. Si j'avais encaissé les coups qu'il a pris ici, j'aurais abandonné bien avant lui. C'est un homme!", clame-t-il.

Mais, après tant d'humiliations, Frazier n'est pas prêt à entendre le message, estimant même dans son autobiographie que la maladie de Parkinson qui a eu raison d'Ali était une punition divine: "Les gens me demandent si je le plains. Non. Le fait est que je m'en contrefous. On veut que je l'aime, mais je creuserai sa tombe et enterrerai son cul lorsque le Seigneur décidera de venir le chercher".

En 2001, Ali présentera au New York Times un mea culpa plus franc: "En fait, Joe a raison. J'ai dit beaucoup de choses dans le feu de l'action que je n'aurais pas dû dire. Je présente mes excuses pour ça."

Il faudra attendre 2008 pour que Frazier les accepte. "Je lui pardonne, bien sûr", déclare-t-il finalement au Daily Telegraph.

Le dernier mot revient à Ali, qui déclarait à la mort de Frazier, en 2011: "Le monde a perdu un grand champion. Je me souviendrai toujours de Joe avec respect et admiration."

Avec AFP

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