Autrefois Leverville, Lusanga est sortie de terre après l'attribution, en 1911, dans ce qui était alors le Congo belge, d'immenses concessions de forêts de palmiers sauvages à l'entrepreneur anglais William Lever, dont la société Lever Brothers donnera naissance moins de deux décennies plus tard à Unilever, aujourd'hui mastodonte international de l'industrie agroalimentaire et cosmétique.
"Le 'White Cube' a été rapatrié ! Quelle joie de le voir construit ici à Lusanga", s'exclame l'artiste néerlandais Renzo Martens, un des initiateurs du Centre international de recherche sur l'art et l'inégalité économique, ou LIRCAEI, selon l'acronyme anglaise de cette fondation censée inverser, localement, les flux financiers entre le monde de l'art et celui de l'industrie.
Plutôt qu'un cube, le "White Cube" est un hexaèdre culminant à près de six mètres dont la face supérieure dessine un toit incliné. Pour l'heure, la structure est à ciel ouvert.
Selon ses concepteurs, le "White Cube", appelé à devenir une galerie d'art, symbolise également l'un de ces musées ayant essaimé en Occident au début du XXe siècle grâce aux bénéfices tirés de l'exploitation des ressources naturelles des colonies.
Son "rapatriement" au Congo est tout aussi symbolique puisqu'il s'agit en fait d'une création devant permettre de "renverser cette situation", explique M. Martens : "Les travailleurs de (la) plantation ont assez soutenu le monde de l'art. C'est désormais au tour du monde de l'art de soutenir la plantation."
A environ 570 km à l'est de Kinshasa, Lusanga est dépourvue de la moindre infrastructure. Ses quelque 15.000 habitants n'ont ni eau courante ni électricité. Les dizaines d'invités venus de Kinshasa, de Kikwit, la grande ville voisine, ou encore d'Europe, ont dormi chez l'habitant ou sous tente autour de l'inauguration du "White Cube", le 22 avril.
A terme, ce musée conçu par l'Office for Metropolitan Architecture (OMA), agence de l'architecte néerlandais Rem Koolhaas, a vocation à exposer les oeuvres de certains habitants pour relancer les plantations selon un modèle de développement durable.
Permanence coloniale
Les premières créations, façonnées en argile, ont été scannées et reproduites en Europe et en Amérique du Nord sous forme de sculptures en chocolat. La vente aux Etats-Unis de ces pièces a rapporté 60.000 dollars, ramenés à Lusanga pour financer des "plantations plus écologiques qui combattent la monoculture" et d'autres projets artistiques locaux, explique le militant écologiste congolais René Ngongo, autre animateur du projet.
Il s'agit aussi de contribuer à la lutte contre le déboisement du Bassin du Congo, deuxième massif forestier tropical de la planète (après l'Amazonie), qui se situe pour sa majeure partie en RDC.
A Lusanga, la coopérative associée au LIRCAEI possède 20 hectares en friche des anciennes Plantations Lever. Six sont prêts à accueillir quelques milliers de pieds de palmiers à huile, de cacaoyer et autres "arbres utiles" (avocatiers, safoutiers - variété de pruniers équatoriaux, acacias...) dont les pousses attendent dans des pépinières au bord de la rivière Kwenge.
"Nous sommes très contents de ce projet qui va nous faire sortir de la misère" engendrée par la lente agonie des palmeraies et de la savonnerie dans la seconde moitié du XXe siècle, se réjouit Maman Aimée, épouse d'un ancien employé des plantations.
Lisette Mbuku, qui a ouvert une boutique avec le fruit de la vente d'une sculpture, y croit aussi. Pour elle, "l'agriculture n'est pas rentable économiquement par rapport à l'art".
Mais il y a aussi des sceptiques, comme l'artiste congolais Witshois Mwilambwe Bondo, pour qui la présence de Renzo Martens est le signe de la permanence d'"un rapport un peu colonial" : "Le Blanc doit être là pour que les choses se fassent."
Edmond Mayambo, professeur d'histoire de l'art africain à Kikwit, regrette qu'un regard "commercial" prenne le dessus sur une vision artistique des choses et met en garde contre la croyance selon laquelle l'art pourrait "mettre fin aux inégalités".
Avec AFP