Entre le viol subi lors de son retour manqué en Somalie, la réduction des rations de nourriture accordées aux réfugiés et les incertitudes entourant son futur au camp de Dadaab, au Kenya, Fartun a presque oublié ce qu'était l'espoir de meilleurs lendemains.
Depuis que le gouvernement kényan a tenté en vain de fermer ce qui était alors le plus grand camp de réfugiés au monde, il y a deux ans, la précarité de la vie de cette Somalienne de 37 ans a pris une toute nouvelle dimension.
"Avant, la vie au camp était bonne (...), mais ce n'est plus pareil", relève cette mère de 11 enfants, revenue vivre à Dadaab après avoir participé à un programme de rapatriements critiqué par les défenseurs des droits de l'homme. "Depuis qu'on est revenus, il y a moins de nourriture, et on vit chez mon beau-frère car je n'ai plus de maison".
C'est le 6 mai 2016, dit-elle, que tout bascule. Nairobi annonce alors sa décision de fermer Dadaab, qui comptait près de 350.000 résidents, et de renvoyer dans leur pays les réfugiés somaliens qui, dans leur majorité, veulent rester au Kenya après avoir fui les sécheresses et la guerre civile.
"Le gouvernement kényan avait déjà dit par le passé qu'il voulait fermer le camp, mais là, ce n'était pas pareil, ils avaient l'air vraiment sérieux", se souvient Fartun.
A l'approche d'échéances électorales, le gouvernement assure sans en fournir la preuve que plusieurs attentats ont été préparés à Dadaab par les islamistes somaliens shebab.
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Les partenaires internationaux soulèvent l'impossibilité logistique et juridique d'une telle fermeture, mais Nairobi fixe une date limite, novembre 2016, ensuite repoussée à mai 2017, et accélère un programme de "rapatriements volontaires" débuté fin 2014.
Dépitée, Fartun rentre en Somalie en juin 2016 avec sa famille, alors que de nombreuses organisations de défense de droits de l'homme mettent en doute le caractère "volontaire" des rapatriements vers un pays en proie à une insécurité chronique et aux infrastructures de base quasi inexistantes.
"Dans le camp, on racontait que, si on ne partait pas, on serait battu", explique Fartun. "C'était peut-être des rumeurs, je n'en sais rien, mais telle était l'ambiance dans le camp".
Comme environ 75.000 Somaliens depuis 2014, elle prend l'argent offert dans le cadre des rapatriements (environ 400 dollars par personne), mais une cinquantaine de kilomètres après avoir passé la frontière, le convoi dans lequel elle voyage en direction de Baidoa (sud) est attaqué par des hommes armés et cagoulés dont elle n'apprendra jamais l'identité.
Elle est relâchée après de multiples viols, mais son fils le plus âgé, Abdirizak, reste captif.
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"Ils voulaient me recruter", explique l'adolescent de 14 ans, montrant une large cicatrice courant sur toute la longueur de son avant-bras droit. "Ils m'ont donné un fusil et m'ont ordonné de tirer, mais j'ai refusé, alors ils m'ont fait cette marque sur le bras".
Abdirizak et sa famille se retrouvent quelques mois plus tard. Il a réussi à s'échapper, tandis que sa mère décide de rentrer à Dadaab après avoir tenté de reconstruire une vie en Somalie, et appris que la justice kényane a interdit en février 2017 la fermeture du camp.
Selon Harun Kamau, plus haut représentant du gouvernement kényan à Dadaab, quelque 2.000 Somaliens sont de la sorte revenus à Dadaab après avoir participé au programme de rapatriements. Plusieurs ONG assurent que ce chiffre est largement sous-estimé et que certains réfugiés sont revenus à Dadaab après avoir été attaqués par des shebab.
- 'Lassitude' -
Le retour est difficile pour Fartun et bien des choses ont changé dans ce camp qui compte désormais officiellement 235.000 réfugiés ou demandeurs d'asile.
Les autorités kényanes n'accordent plus automatiquement le statut de réfugiés aux Somaliens, qui doivent soumettre des demandes individuelles, et le Programme alimentaire mondial, évoquant un manque de ressources financières, a réduit de 30% les rations pour les réfugiés au Kenya.
"Dadaab existe depuis 27 ans, il y a donc une certaine lassitude des donateurs par rapport à d'autres crises comme celle des réfugiés syriens ou des Rohingyas", explique un responsable onusien à Dadaab.
D'autres acteurs humanitaires regrettent, eux, l'incertitude entretenue selon eux par le gouvernement kényan sur le futur de Dadaab.
"La première chose que les donateurs nous disent, c'est +pourquoi lancer des programmes à long terme si le camp va bientôt fermer+?", soutient Caleb Odhiambo, directeur des activités de l'ONG Save the Children à Dadaab.
S'ils saluent une loi en cours d'adoption qui permettra une meilleure intégration des réfugiés, les humanitaires regrettent les retards pris selon eux pour la promulguer, et surtout, souhaiteraient que les autorités reconnaissent publiquement ce qu'ils estiment être l'impossibilité de fermer Dadaab à court ou moyen terme.
Fartun, elle, redoute plus que tout un nouveau retour en Somalie. "Même si le camp ferme aujourd'hui, je préférerais rester quelque part ici que de rentrer en Somalie".
Avec AFP