"Les ventes s'effondrent. L'an dernier à la même époque j'avais vendu trente béliers, cette année seulement quatre", se lamente auprès de l'AFP Ibrahim Shuaibu, maquignon sur un marché de Kano, la grande ville musulmane du nord du Nigeria.
Les moutons sont traditionnellement sacrifiés lors de l'Aïd el-Kébir pour symboliser la soumission des croyants à Allah et la viande est partagée avec toute la famille, les amis et les personnes dans le besoin.
La période de l'Aïd est normalement la plus chargée dans l'année pour les marchands de bestiaux. Les clients aisés achètent souvent plusieurs bêtes, qu'ils redistribuent.
"Un seul client peut acheter 50 béliers d'un coup et les offrir ensuite en cadeau aux gens", témoigne Abubakar Ibrahim, vendeur sur un autre marché de Kano. Mais cette année, "personne n'a acheté ne serait-ce que cinq béliers d'un coup".
Au total, il n'a vendu que 20 bêtes jusqu'à présent contre plus de 500 l'an dernier.
Les clients viennent "au compte-gouttes", déplore également Sabiu Ibrahim, un négociant.
Pour Mudassir Mustapha, un autre commerçant, "plus d'un tiers des gens n'ont pas les moyens de sacrifier un bélier cette année à cause de la récession".
L'économie du Nigeria est officiellement entrée en récession le mois dernier après deux trimestres consécutifs de croissance négative.
Alors que ce pays est complètement dépendant de ses exportations de pétrole, la chute des cours de l'or noir sur les marchés mondiaux depuis deux ans et les attaques de groupes rebelles contre les installations pétrolières depuis le début de l'année ont fait plonger l'économie et les recettes de l'Etat.
Le naira, la monnaie nationale, a dévissé face au dollar, l'inflation a grimpé à 17% en juillet et les investissements étrangers sont tombés au plus bas.
Payer un bélier ou l'école des enfants
La crise a atteint un tel point que la présidence nigériane a annoncé cette semaine le lancement d'un plan d'emprunts internationaux, notamment auprès de la Chine, du Japon et de la Banque mondiale.
Sur les marchés aux bestiaux, un bélier coûte normalement entre 30.000 et 70.000 nairas (80 à 200 euros) selon sa taille. Pour attirer le chaland, les marchands bradent, mais sans grand succès.
"Les prix ont augmenté pour presque tout, mais pas mon salaire", regrette un agent immobilier, Babangida Magaji. "Je dois choisir entre acheter un bélier ou de la nourriture et des biens essentiels pour ma famille et payer l'école pour mes enfants. Donc acheter un bélier n'est pas ma priorité".
Si les ventes de bélier ont chuté, celles de taureau, un animal qu'on peut aussi sacrifier pour l'Aïd, ont progressé. L'explication est simple : comme c'est un animal plus gros, on peut le partager plus facilement et les habitants de Kano se cotisent pour en acheter un à plusieurs, explique un marchand, Kabir Mansur Ashura. Ses ventes ont grimpé de 20%.
Ainsi Abdullahi Lawan s'est regroupé avec trois voisins pour pouvoir se payer un taureau pour les fêtes. Alors que d'habitude, il achetait deux béliers.
"Avec 25.000 nairas (70 euros) j'ai un quart de taureau, ça me fait plus de viande que deux béliers qui m'auraient coûté 100.000 nairas (280 euros)", explique-t-il.
"J'y perds sur le plan spirituel en ne sacrifiant pas un bélier, mais je suis gagnant sur la quantité de viande. Je n'ai pas le choix", confie-t-il.
Avec AFP