Le pays enclavé d'Afrique australe se prépare à un scrutin tendu le 23 août, pour élire le président, les parlementaires et les conseillers municipaux, dans un contexte de répression de l'opposition et de craintes de fraude électorale. Les campagnes de désinformation à grande échelle avant un scrutin sont désormais habituelles sur le continent, et le Zimbabwe n'y fait pas exception.
Mais alors qu'au Kenya ou au Nigeria les diffuseurs de fausses informations ont agi ouvertement lors des récentes élections, le plus souvent sur Facebook et Twitter (rebaptisé récemment "X"), au Zimbabwe cela se passe surtout sur la messagerie cryptée WhatsApp, selon des experts, rendant plus difficile le travail de vérification des faux contenus qui y prolifèrent. "Pour la plupart des Zimbabwéens, internet c'est WhatsApp", observe Nqaba Matshazi, journaliste pour l'ONG Media Institute of Southern Africa (MISA) au Zimbabwe.
Seul un tiers des 15 millions d'habitants a accès à internet, indique un rapport de 2023 du cabinet d'analyses de données DataReportal. Mais si seulement 9% des internautes fréquentent les réseaux sociaux, Whatsapp est beaucoup plus utilisé et de nombreux Zimbabwéens le considèrent comme un moyen de communication sûr, dans un pays où critiquer le gouvernement peut vous envoyer en prison.
L'équipe du groupe de "fact-checking" ZimFact consacre désormais l'essentiel de son activité à écumer les groupes Whatsapp en quête de messages à réfuter, explique son rédacteur en chef, Chris Chinaka.
"Bots" et pseudonymes
Les réseaux sociaux ne sont pas pour autant indemnes de contenus erronés. Twitter notamment est inondé de publications de "bots" (comptes exploités par des ordinateurs) chargés de mettre en avant les arguments du gouvernement, souligne l'analyste politique Jamie Mighti.
Certains gonflent le bilan du ZANU-PF, le parti au pouvoir depuis l'indépendance en 1980, d'autres relaient le discours du président Emmerson Mnangagwa selon lequel les sanctions occidentales sont responsables de l'effondrement économique - les Etats-Unis et l'Europe démentent, soulignant que les sanctions ciblent des dirigeants accusés de corruption et de violation des droits humains.
Peu de personnes discutent politique sur Twitter sous leur vrai nom, à cause des "risques d'arrestation", souligne M. Matshazi. Mais Whatsapp non plus n'est pas une zone libre, plusieurs personnes s'étant retrouvées en prison après y avoir publié, ajoute-t-il.
En mai, le Zimbabwe a approuvé une loi aux termes vagues imposant des peines sévères à qui nuirait à "la souveraineté et l'intérêt national" du pays. Un texte qui, selon ses critiques, interdit de fait toute critique du gouvernement. Cette loi a aggravé "une plaie déjà infectée dans un environnement où la liberté d'expression est franchement restreinte", estime M. Matshazi.
Images retouchées
Tant le ZANU-PF que la Coalition des citoyens pour le changement (CCC), le principal parti d'opposition, font un large usage des photos et vidéos manipulées, soulignent les analystes.
Ils "ont utilisé des images retouchées d'anciens meetings, ou de contextes totalement différents, pour créer une fausse impression de large soutien" de la population, explique Bhekizulu Tshuma, professeur de communication à l'Université nationale des sciences et technologies du Zimbabwe.
Les partis ont également utilisé des tactiques pour suggérer que leurs rivaux avaient peu de partisans, et des messages de campagne ont été délibérément déformés. Un clip du chef du CCC Nelson Chamisa a ainsi été modifié pour lui faire dire qu'il soutenait une annulation des réformes agraires radicales de l'ex-président Robert Mugabe (1987-2017, mort en 2019) – et un retour des terres entre les mains des fermiers blancs.
La télévision n'est pas épargnée: la chaîne publique ZBC, selon les observateurs, décrit souvent le CCC comme un parti peu populaire et sort les propos de ses dirigeants de leur contexte.
Les Zimbabwéens expatriés, en Afrique du Sud et au Royaume-Uni en particulier, jouent un rôle crucial dans l'amplification de la désinformation, expliquent les experts. "Beaucoup de discussions à propos des élections zimbabwéennes ont lieu sur internet et dans les médias sud-africains, européens et américains, principalement à cause des restrictions au Zimbabwe et de la peur des représailles", juge l'analyste Jamie Mighti.
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