Les petites pilules rouges, appelées "yaba", bien connues dans toute l'Asie du Sud-Est depuis des décennies, arrivent depuis quelques mois dans des proportions jamais vues au Bangladesh. Cela coïncide avec l'arrivée de plus de 700.000 Rohingyas, fuyant ce que l'ONU dénonce comme un nettoyage ethnique en Birmanie.
Quelque "250 à 300 millions de pilules représentant une valeur de 600 millions de dollars" devraient entrer dans le pays cette année, estime Towfique Uddin Ahmed, du Département du contrôle des stupéfiants du Bangladesh. Soit 10 fois plus qu'en 2017.
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Fusillades, extorsions, enlèvements: ce trafic sème le trouble dans les camps de réfugiés rohingyas, déjà traumatisés par l'exode récent.
Dans le district de Cox's Bazar au Bangladesh, où vivent la plupart des réfugiés rohingyas, les saisies se font plus fréquentes et plus importantes.
Le 15 mars, 1,8 million de cachets de méthamphétamine ont été abandonnés par des trafiquants sur les rives de la rivière Naf, frontière naturelle entre Birmanie et Bangladesh.
Fin avril, 900.000 cachets y ont encore été découverts dans des bateaux.
Le 7 mai, un soldat birman a été interpellé en possession de près de 200.000 méthamphétamines en Etat Rakhine (ouest de la Birmanie, épicentre des violences anti-Rohingyas). Et 1,7 million de pilules de méthamphétamine supplémentaires ont été trouvées ensuite dans une cache liée à lui.
Au Bangladesh, presque tout le yaba vient de Birmanie, qui possède des dizaines de petits laboratoires dans ses régions en proie à des rébellions ethniques armées.
"Le trafic permet d'avoir de l'argent facilement. Et comme les Rohingyas n'ont pas d'autre possibilité de survie, de plus en plus deviennent des passeurs", explique le commandant des gardes-frontières du Bangladesh, Asadud Zaman Chowdhury.
Plus de cent Rohingyas ont été arrêtés pour trafic depuis août dernier, selon la police régionale.
"Il est très facile d'exploiter les réfugiés", déplore Abdus Salam, un dirigeant de la communauté rohingya du camp de Shamlapur. "Beaucoup de jeunes hommes tombent dans le piège des seigneurs de la drogue", poursuit-il.
Et dans l'ouest de la Birmanie, des bouddhistes de l'ethnie Rakhine se lancent aussi dans la contrebande, comblant le vide laissé par les Rohingyas qui ont fui.
La preuve pour Asadud Zaman Chowdhury que, dans ce domaine, "personne ne se soucie de qui est Rohingya et qui est bouddhiste".
Et l'instabilité a dopé les trafics.
Fin avril, l'AFP a été témoin de deux saisies le long de la route reliant la ville de Cox's Bazar à Teknaf, proche des camps.
Le premier paquet, caché sous le siège d'un bus, comptait 12.000 pilules aromatisées à la vanille. Peu après, une femme voyageant avec un enfant a été arrêtée avec de la drogue cachée dans des sacs de tamarin, un fruit tropical.
Depuis Teknaf, l'Etat Rakhine, région de Birmanie qui s'est retrouvée l'épicentre des violences anti-Rohingyas, est visible à l'oeil nu, juste de l'autre côté de la rivière.
L'an passé, les Bangladais ont vu d'ici les villages en feu puis les bateaux de Rohingyas terrorisés affluer.
Aujourd'hui, les embarcations remplies de drogue défient les postes de contrôle et les patrouilles de la police des frontières.
Mais les chiffres montrent que tout a commencé dès 2012 lors la précédente effusion de violences anti-rohingyas en Birmanie.
Selon les autorités birmanes, 200.000 tablettes avaient été saisies en Etat Rakhine cette année-là. En 2016, le nombre est passé à 58 millions.
Entre temps, l'armée est devenue plus puissante dans la région et certains soldats ont trouvé comment arrondir leurs fins de mois.
Le 1er octobre 2017, au paroxysme de la crise, deux soldats birmans ont été arrêtés à Maungdaw, ville d'Etat Rakhine, avec près de deux millions de comprimés de yaba valant à 2,3 millions d'euros sur le marché local.
Et le 24 mars, le fils d'un fonctionnaire de Maungdaw est arrêté en possession de 650.000 cachets de méthamphétamine.
- "Plus en sécurité" -
D'après des sources policières birmanes, les différents groupes armés - musulmans rohingyas et bouddhistes rakhines - sont impliqués ensemble dans ce trafic comme pour "l'achat d'armes".
"Je suis entré dans ce trafic il y a cinq ans après avoir rencontré un homme influent de la région", explique à l'AFP un dealer rohingya qui vit au Bangladesh.
L'argent gagné lui a permis d'installer sa famille qui vivait dans un camp de réfugiés dans un appartement dans la ville de Cox's Bazar.
"Si je ne le fais pas, quelqu'un d'autre le fera", ajoute-t-il.
Mais la multiplication des trafics fait monter la violence dans la région. Selon la police bangladaise, plusieurs meurtres dans les camps sont liés à la drogue.
La mère Anwara Begum glisse son doigt dans le trou du T-shirt de son fils, tué par balle en mars dans une ruelle du camp de Nayapara. La police pense qu'il s'agit d'un règlement de comptes, la famille n'y croit pas.
"Trente ou quarante gars dans chaque camp sont des gangsters... il y a des armes ici", raconte son grand frère Hassan Ali, 32 ans. "Je ne me sens plus en sécurité, mais nous n'avons nulle part où aller".
Avec AFP