"Inquiétant!" titrait en une le quotidien Le Patriote avec en surtitre "Mouvement d'humeur des soldats et gendarmes, grève des fonctionnaires".
Si la vie a repris normalement à Yamoussoukro où deux mutins ont été tués mardi, "on sort la peur au ventre", soulignait Rachel Kouamé, 27 ans couturière dans la capitale administrative de Côte d'Ivoire. "Il y a une atmosphère lourde avec les patrouilles militaires", ajoutait Koné, gérant de cabine téléphonique.
Signe d'une tension persistante, des tirs épars étaient cependant entendus dans la matinée de mercredi à Abidjan et Bouaké, deuxième ville du pays et épicentre de la mutinerie, initiée le 5 janvier.
A Abidjan, ce sont des gendarmes qui tiraient en l'air dans le port de pêche, selon des médias ivoiriens. A Bouaké, ce sont des gardes pénitentiaires qui manifestaient leur colère, a constaté un journaliste de l'AFP.
Mardi, le premier paiement aux 8.500 mutins, anciens rebelles intégrés dans l'armée qui avaient protesté au début du mois, a déclenché un mouvement d'humeur des autres forces de sécurité, qui estiment elles aussi avoir le droit à une prime.
D'autant que cette prime de 12 millions de FCFA (18.000 euros) dont 5 millions (7.500 euros) payés ces jours-ci est astronomique dans un pays où les salaires moyens avoisinent les 100.000 FCFA (150 euros).
"Tous les corps habillés (militaires et gendarmes) ont participé à la guerre (dix années d'instabilité), donc s'il doit y avoir une prime, elle doit être pour tout le monde", assurait un gendarme mardi.
Mardi, une dizaine d'autres villes ont été touchées par la colère de gendarmes ou soldats non concernés par la mesure. Si la protestation s'est soldée par des tirs en l'air, et n'a pas pris les proportions de Yamoussoukro, des observateurs craignent une division voire une bataille entre forces de sécurité.
"Tout le monde veut sa part du gâteau. Avec les deux morts, les antagonismes vont être exacerbées", estime un connaisseur avisé de l'armée ivoirienne.
Faible marge de manoeuvre
A Bouaké,la situation n'était pas loin de dégénérer mardi en combats entre gendarmes et soldats ayant obtenu les primes. Ces derniers ont même encerclé le camp de gendarmerie pour empêcher les gendarmes de protester et ainsi continuer à encaisser leurs primes dans les banques.
Le gouvernement est sous pression et beaucoup d'Ivoiriens attendaient une annonce à la sortie du conseil de ministres, le premier du nouveau Premier ministre Amadou Gon Coulibaly entré en fonction la semaine derrière après la nomination au poste de vice-président de Daniel Kablan Duncan, dans le cadre d'une nouvelle Constitution promulguée en novembre.
La marge de manoeuvre du gouvernement est faible.
L'armée ivoirienne - 22.000 hommes au total - compte trop de gradés. Beaucoup de ces gradés sont des anciens rebelles intégrés après la crise. Les autorités cherchent à les inciter à quitter les forces armées pour tourner définitivement la page d'une décennie d'instabilité.
La Côte d'Ivoire a mis en route en 2016 une ambitieuse loi de programmation militaire jusqu'en 2020. Elle prévoit la modernisation et des achats d'équipements pour 1,2 milliard d'euros et une refonte des effectifs.
Le gouvernement pourrait puiser dans cette ligne budgétaire pour financer la prime aux mutins mais il faudrait alors reporter les réformes et il n'a pas les moyens d'offrir cette prime à toute ses forces de sécurité (15.000 gendarmes en plus).
De plus, les finances ne sont pas au mieux avec des tensions à la baisse sur le prix du cacao dont le pays est le premier producteur mondial et alors que lesfonctionnaires ont reconduit mardi leur grève commencée le 9 janvier.
Ils revendiquent des augmentations salariales et refusent une réforme des retraites. A ce propos, une blague circulant sur les réseaux sociaux en dit long sur les chances de voir leurs revendications aboutir et la faveur faite aux mutins: "Jeune fille sexy cherche mutin pour relation. Fonctionnaires s'abstenir"
Avec AFP