"Nous ne pouvons pas avoir une situation pire", lâche Amina al-Kouafi, une habitante de Benghazi, berceau de la révolte de 2011 en Libye, à propos de possibles élections pour sortir le pays de sept ans de chaos.
Comme cette mère de famille, beaucoup de Libyens ne se font pas trop d'illusions quant au succès d'un scrutin dans un pays morcelé avec deux autorités rivales et une multitude de factions armées, qui mènent une lutte acharnée pour la domination de ce riche pays pétrolier.
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Censées contribuer à mettre un terme aux rivalités, à l'insécurité, à l'instabilité, à la corruption et à une crise économique aigüe, sept ans après la révolte qui chassa Mouammar Kadhafi du pouvoir, l'ONU ambitionne d'organiser des élections dont ni la nature ni la date ne sont encore connues.
"Nous avons vécu sept années difficiles depuis la fin de la révolution", déplore Amina Al-Kouafi qui promène ses enfants sur la plage, près des décombres du quartier al-Sabri réduit en poussière par les violences.
Mais elle veut garder "peu d'espoir". "Peut-être que cette année sera celle de la délivrance", dit-elle, à la veille du 7e anniversaire du début de la révolte qui commença à Benghazi le 17 février 2011 et mit fin huit mois plus tard à 42 ans d'un régime autoritaire sous Mouammar Kadhafi.
Présent aussi à Benghazi, à un millier de km à l'est de la capitale Tripoli, Saad al-Badri, un journaliste libyen de 35 ans, n'est pas non plus optimiste.
"Aucune solution politique en Libye n'est viable à court terme tant qu'il y a cette avidité effrénée pour le pouvoir", dit-il dans cette cité meurtrie par des attentats attribués à des jihadistes.
20 millions d'armes
Des élections pour rétablir la sécurité ou la sécurité d'abord pour garantir la réussite des élections? La question divise dans un pays où la chute du régime autoritaire avait entraîné la désintégration de l'appareil sécuritaire.
"Quand il y a 20 millions d'armes pour 6 millions d'habitants, comment imaginer que des élections puissent réussir" en Libye, se demande Federica Saini Fasanotti du Brookings Institution à Washington. "Les élections sont l'apothéose de la démocratie, pas le début".
Quoiqu'il en soit, plusieurs étapes restent à franchir avant la tenue éventuelle du scrutin, dont un référendum sur un projet de constitution et la rédaction d'une loi électorale agréée par l'ensemble des protagonistes.
La semaine dernière, l'envoyé spécial de l'ONU pour la Libye, Ghassan Salamé, a reconnu que "toutes les conditions ne sont pas réunies aujourd'hui" pour la tenue d'élections.
"Mais le plus important est d'obtenir l'acceptation par toutes les parties des résultats des élections", avant même leur tenue, a-t-il dit, d'autant que les Libyens ne gardent pas un bon souvenir des dernières législatives de 2014.
Quelques jours après l'annonce des résultats du scrutin, le Parlement élu avait été contraint de s'exiler dans l'est du pays, après qu'une coalition de milices s'est emparée de la capitale au terme de combats meurtriers.
Aujourd'hui, deux autorités se disputent le pouvoir. Un gouvernement d'union nationale (GNA) issu d'un accord parrainé par l'ONU et basé à Tripoli et un gouvernement parallèle dans l'Est soutenu par le puissant maréchal Khalifa Haftar, qui conteste la légitimité du GNA.
'Expérience amère'
Mettant en avant "l'expérience amère" des élections de 2014, le professeur en sciences politiques Mahmoud al-Murshti juge "important un consensus national pour accepter les résultats des prochaines élections". Il ne faudrait pas recourir aux armes "au cas où les résultats ne satisferaient pas l'une des parties".
En attendant la levée de toutes ces incertitudes, la Commission électorale libyenne, l'une des rares institutions crédibles et indépendantes dans le pays, a commencé à mettre à jour sa liste électorale.
Jusqu'au 14 février, le nombre des inscrits a atteint 2,4 millions d'électeurs dont 894.095 nouveaux inscrits, selon elle.
Sur les 3,4 millions d'électeurs éligibles, seulement 1,5 million s'étaient inscrits pour les législatives de 2014, contre 2,7 millions en 2012.
Karima al-Badri, une banquière de Tripoli, figure parmi le million de femmes inscrites.
Sur une note plus optimiste, elle souligne que "la liberté de voter est la principale réalisation de la révolution". "Nous devrions nous concentrer sur l'avenir pour essayer de reconstruire le pays, même si la lumière au bout du tunnel semble lointaine".
Avec AFP