Une foule considérable - un million selon les organisateurs, chiffre invérifiable de source indépendante - a entamé une marche de plusieurs kilomètres aux cris de "Amoulanfe" ("ça ne passera pas" dans la langue locale) ou "A bas la dictature", sans heurts malgré une forte et discrète présence policière et le contexte de crise politique.
"Nous sommes fatigués des mensonges, des fausses promesses et surtout (du fait) qu'il (Alpha Condé) ne soit plus en mesure de répondre aux attentes de la population. Alors 10 ans, ça suffit", disait Souleymane Kamagathe, boulanger, au milieu de cette masse humaine bruyante progressant dans la chaleur vers le stade du 18-Septembre, destination de la marche.
La Guinée, petit pays de 13 millions d'habitants, pauvre malgré d'importantes ressources minières, est en proie depuis le 14 octobre à une intense contestation. Au moins huit manifestants (dix selon l'opposition) et un gendarme ont été tués, des dizaines d'autres blessés, des dizaines encore arrêtés et jugés.
Cinq dirigeants du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), qui initie le mouvement, ont été condamnés mardi à des peines allant de six mois à un an de prison ferme.
Les défenseurs des droits humains dénoncent une répression visant à faire taire l'opposition. Après une évolution encourageante, ils rapportent une régression des droits ces derniers mois et une interdiction de fait de toute manifestation depuis juillet 2018.
Le FNDC, coalition de partis d'opposition, de syndicats et de membres de la société civile, a appelé à marcher "contre la présidence à vie" dans la capitale et ailleurs dans le pays. Il est résolu à faire barrage au projet prêté au président de briguer sa propre succession en 2020 et de changer à cette fin la Constitution, qui l'empêche de concourir à un troisième mandat.
Les tensions font redouter une escalade dans un pays coutumier des manifestations et des répressions violentes. La communauté internationale inquiète a appelé au dialogue et au respect des droits.
Dans un apparent souci de réduire la pression, le gouvernement a autorisé la marche de jeudi, tout comme un rassemblement de femmes la veille. Mais il a validé un parcours éloigné des lieux du pouvoir.
- Opposition "putschiste" -
Nombre de manifestants se sont vêtus de rouge, symbolisant selon le FNDC le sang des manifestants tués la semaine passée, la colère contre les arrestations et le refus d'un changement de Constitution.
"Alpha Condé nous a fait rêver", dit Dalanda Barry, médecin, "il nous a promis la terre et le ciel. Il est fatigué, il est temps qu'il parte pour réduire un peu le taux de corruption".
"Justice pour les jeunes du FNDC" et "vive la démocratie, pour une alternance pacifique", scande la foule.
La personne d'Alpha Condé est au cœur de l'agitation. Opposant historique qui connut l'exil et la prison, il a été le premier président démocratiquement élu en 2010, réélu en 2015. Son avènement a marqué l'instauration d'un gouvernement civil après des décennies de régimes autoritaires et militaires.
L'opposition dénonce une dérive "dictatoriale" de sa part, à, l'instar de maints leaders africains.
A 81 ans, M. Condé ne confirme ni n'infirme les intentions qu'on lui attribue.
Dans un entretien accordé au quotidien français le Monde, il entretient le doute à la fois sur une révision de la Constitution, la possibilité d'un référendum et sur ses plans personnels.
La question d'une candidature en 2020 "ne se pose pas pour le moment tant que je n'ai pas fini mon mandat", dit-il. Quant à l'opposition, elle "a toujours été putschiste".
Aucune sortie de crise n'est en vue. "Nous allons continuer à organiser ces manifestations de protestation pour exiger la libération de nos collègues incarcérés et le renoncement par Monsieur Alpha Condé à ce troisième mandat", a promis un des chefs de l'opposition, Cellou Dalein Diallo, dans la marche.