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Elections au Kenya: "Tout le monde veut devenir gouverneur"


Des Kenyans attendent pour voter à Nairobi, Kenya, le 27 décembre 2007.
Des Kenyans attendent pour voter à Nairobi, Kenya, le 27 décembre 2007.

C'est une histoire que le gouverneur de Machakos, au Kenya, aime à raconter: depuis qu'il a doté son comté d'ambulances gratuites, deux prénoms ont quasiment disparu des registres: "Mwanzia" pour les garçons, "Nzilani" pour les filles, signifiant né(e) "au bord de la route" en Kikamba, la langue locale.

"Il était courant que les femmes meurent d'hémorragie ou accouchent sur le bord de la route. D'autres étaient transportées dans des brouettes ou des charrettes vers les centres de soins, faute d'ambulances", explique à l'AFP Alfred Mutua, l'un des 47 gouverneurs du Kenya.

En campagne pour un second mandat au scrutin de la semaine prochaine, le quadragénaire au costume impeccablement ajusté égrène son bilan, longue énumération de routes construites, de "300" puits creusés, de tracteurs qui labourent les champs gratuitement, de centres de santé rénovés, du stade de Machakos réhabilité, etc. Un bilan largement enjolivé par un gouverneur mégalomaniaque, selon ses opposants.

Pour réaliser ces chantiers dans son comté au sud-est de Nairobi, M. Mutua dispose d'un budget de quelque 100 millions de dollars (85 MEUR) par an, traduction sonnante et trébuchante d'une décentralisation mise en oeuvre à partir de 2013 après l'adoption par référendum de la nouvelle Constitution en 2010.

La décentralisation, "c'est la réforme constitutionnelle la plus significative au Kenya depuis l'introduction du multipartisme en 1992", affirme Murithi Mutiga, spécialiste du Kenya à l'International Crisis Group (ICG).

'Changement radical'

D'un système hyper-centralisé, où "le président déterminait comment vivaient les gens aux quatre coins du pays" selon M. Mutiga, le Kenya a mis en place en quelques années une décentralisation où le gouvernement doit verser au minimum 15% du revenu national (dans les faits 20 à 30%, selon les sources) aux 47 comtés en charge des routes secondaires, des centres de soins, du commerce local etc.

Concrètement, des régions entières historiquement marginalisées par le pouvoir central de Nairobi, soit parce que perçues comme acquises à l'opposition ou tout simplement non prioritaires, ont pu accéder à une portion du gâteau national et gérer elles-mêmes leur budget.

"Le changement radical, c'est que désormais les décisions sont prises depuis Machakos et non pas par quelqu'un à Nairobi qui ne sait même pas où se trouve Machakos", se félicite M. Mutua.

Et si la décentralisation est en train de silencieusement transformer certaines régions du Kenya, elle opère aussi une révolution dans la vie politique kényane, pour le meilleur et pour le pire.

Ce qui semblait pour une bonne partie du personnel politique un saut dans l'inconnu en 2013, lors de l'élection des premiers gouverneurs du pays, est devenu soudain très attractif.

"Tout le monde veut devenir gouverneur cette fois-ci! Si on porte un regard cynique, cela en dit long sur ce qui motive le personnel politique au Kenya: c'est là que se trouve l'argent et le véritable levier de clientélisme", décrypte le chercheur de l'ICG. Nombre de sénateurs ou députés sortants sont candidats cette année à un poste de gouverneur.

De fait, pour Nicholas Cheeseman, professeur de politique africaine à l'université de Birmingham, l'un des motifs de préoccupation pour les élections générales du 8 août, c'est "la probabilité de voir la course électorale pour les postes de gouverneur beaucoup plus compétitive et un risque plus important de violences localisées".

De gouverneur à président ?

La décentralisation a en partie déminé l'enjeu de la présidentielle, où traditionnellement le camp vainqueur raflait la mise. Désormais, un camp peut perdre la présidentielle et gagner un nombre significatif de comtés.

Mais elle porte en elle les germes de divisions locales exacerbées. Les primaires du parti au pouvoir et de l'opposition ont donné lieu en avril à des scènes chaotiques d'échauffourées entre militants et de contestation des résultats.

"Il y a bien sûr un danger que plein de petits conflits dans le pays finissent par monter en puissance et prennent une dimension nationale", relève M. Cheeseman.

Dans le même temps, parce qu'elle rapproche l'exécutif de la population qui voit ou non les projets sortir de terre, M. Mutiga et le gouverneur de Machakos sont convaincus que la décentralisation a instillé un concept encore très absent de la politique kényane: celui de rendre des comptes.

"La décentralisation, c'est à la fois une bénédiction et une malédiction. C'est jusqu'à certain point un succès, avec l'émergence de la responsabilité en politique et l'appropriation de la prise de décision politique au niveau local. Mais c'est aussi une décentralisation de plusieurs problèmes: une compétition électorale sur des lignes ethniques et la corruption", explique M. Mutiga.

Les défis sont là, concède le gouverneur, qui se montre toutefois optimiste: "Dans quelques années, les présidents seront d'anciens gouverneurs".

Ça tombe bien, le gouverneur de Machakos a déclaré début juillet son intention de se présenter à la présidentielle de 2022.

Avec AFP

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