Les plus jeunes pataugent en gloussant dans l'eau brunâtre, tandis que les adolescents enchaînent les sauts acrobatiques sur le terrain de football inondé.
La distraction est bienvenue à Dadaab, dans l'est du Kenya, où 235.000 réfugiés en majorité somaliens vivent la plupart du temps au rythme des sécheresses, dans la misère et la poussière.
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Mais l'insouciance des plus petits ne peut cacher la détresse des plus grands due à la propagation de maladies mortelles comme le choléra ou le paludisme, la destruction de centaines d'abris et la paralysie des opérations humanitaires.
Si certains endroits sont relativement épargnés, l'eau atteint jusqu'à un mètre de profondeur sur certaines pistes et chemins de ce camp qui portait jusqu'à il y a peu le sinistre titre de plus grand camp de réfugiés au monde.
Longs hijabs détrempés pour les femmes, pantalons retroussés pour les hommes, tous progressent péniblement dans la moiteur de Dadaab.
"Nous n'avons nulle part où dormir (...), l'eau a tout recouvert", peste Hassan Yussuf, 34 ans, vingt centimètres d'eau recouvrant le sol en terre de sa maison de branchages et de tôle ondulée.
Ce père de cinq enfants a placé les quelques effets personnels de sa famille dans un arbre, à l'abri de l'eau. Seul un lit de fortune se dresse encore au milieu de l'unique pièce de sa bicoque, sur lequel sa mère aveugle de 80 ans est pour l'heure encore au sec.
"Je traîne à la recherche d'un endroit sec", ajoute-t-il, disant espérer que la nuit n'accouche pas de nouvelles trombes d'eau.
"Dadaab est situé sur une plaine où l'eau de pluie ne s'évacue pas facilement, il n'y a pas de systèmes de drainage et pas de rivière à proximité", explique Caleb Odhiambo, responsable de programmes pour l'ONG Save the Children. "Cela peut durer plusieurs semaines avant que l'eau ne redescende à un niveau normal".
Pendant ce temps, note-t-il, les latrines creusées dans le sol débordent et contaminent les étendues d'eau stagnante.
Principal problème: le choléra, dangereux pour les enfants qui plongent avec désinvolture dans l'eau et lorsqu'il contamine au bout du compte les sources d'eau potable utilisées par les réfugiés du camp, fuyant depuis 1991 les famines et la guerre civile en Somalie.
Au fil des saisons des pluies, les agences humanitaires n'en finissent plus de compter les cas de choléra, qui sévit aussi durant les sécheresses lorsque les réfugiés assoiffés se tournent vers des sources d'eau non potable. Entre 2011 et 2017, près de 20.000 cas ont été enregistrés à Dadaab. Lors des dernières averses importantes, fin 2015, 14 personnes en sont décédées.
Mais le choléra n'est pas la seule maladie favorisée par la pluie: la transformation du camp en marais favorise également la prolifération des moustiques, et donc de la malaria qu'ils transmettent.
Les plus optimistes soulignent que le bétail, affaibli par des mois de sécheresse, pourra bénéficier quelques semaines plus tard de la régénération des pâtures, mais il faudra pour cela d'abord qu'il survive, lui aussi, aux maladies propagées par les inondations.
- 'Maudits' -
"Quand la zone est inondée, les gens sont exposés à plusieurs maladies. L'eau de pluie se mélange au contenu des latrines et cela affecte deux qui boivent cette eau, qui se baignent dedans ou cuisinent avec", abonde Mokhtar Dahari, 25 ans, un réfugié de Dadaab, évoquant par ailleurs la mort d'un enfant par noyade la veille.
"Et le pire, c'est qu'en raison des inondations, il y a des gens qui n'arrivent pas à accéder aux centres de santé", soupire le jeune homme.
Un chauffeur travaillant pour une ONG à Dadaab confirme: "les pistes sont inondées et certaines parties de Dadaab sont inaccessibles (...), les activités humanitaires sont ralenties".
Pour l'heure, Mokhtar Dahari, jean mouillé jusqu'à mi-cuisse, s'estime heureux. L'eau s'est arrêtée à quelques mètres de son abri partiellement construit en terre. Pelle en main, il remplit des sacs de terre qu'il dispose autour de sa demeure, en prévision de nouvelles précipitations.
"Si l'eau monte encore, la partie en terre de ma maison va être détruite", explique Mokhtar, qui en viendrait presque à regretter les périodes de sécheresse.
Et Caleb Odhiambo d'ironiser avec amertume: "la situation à Dadaab, c'est que les réfugiés sont maudits quand il ne pleut pas, et qu'ils sont également maudits quand il pleut".
Avec AFP