Les cris d'alarme sur la situation humanitaire dans cette région du nord de l’Éthiopie ont redoublé ces derniers jours, alors que le conflit connaît un tournant majeur.
Le Tigré est le théâtre de combats depuis que le Premier ministre Abiy Ahmed a envoyé, début novembre, l'armée pour renverser les autorités régionales dissidentes, issues du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF). Le prix Nobel de la paix 2019 les accusait d'avoir orchestré des attaques sur des bases militaires.
Annoncée comme brève, cette opération militaire s'est transformée en un conflit de longue durée entre forces pro-TPLF (les Forces de Défense du Tigré, TDF) et armée éthiopienne, épaulée par des troupes des autorités régionales voisines de l'Amhara et l'armée de l’Érythrée, pays frontalier du Tigré.
Lundi, les TDF ont repris la capitale régionale Mekele, tenue par l'armée éthiopienne depuis le 28 novembre. Le gouvernement a immédiatement décrété un cessez-le feu unilatéral, qualifié de "blague" par un porte-parole des forces rebelles. Les TDF ont depuis repris le contrôle d'une grande partie de la région.
Des ONG et des agences onusiennes se sont alarmées vendredi de la destruction de deux ponts cruciaux pour accéder au Tigré. Accusé de vouloir empêcher l'aide humanitaire d'arriver dans cette région où son armée a perdu du terrain, le gouvernement éthiopien a démenti toute responsabilité.
Organisme indépendant mais rattachée au gouvernement fédéral, la Commission éthiopienne des droits de l'homme (EHRC) a exprimé samedi sa "profonde préoccupation" sur la situation des civils au Tigré" et demandé que "des mesures soient prises d'urgence pour assurer leur sûreté et leur sécurité".
"La sûreté et la sécurité des civils doivent rester une priorité", insiste l'EHRC.
- Conditions de famine -
L'EHRC s'inquiète des informations d'organisations humanitaires selon qui "la coupure des services d'électricité, de télécommunications et d'approvisionnement en eau dans plusieurs zones de la région met à rude épreuve les conditions de vie dans la région, qui sont aggravées par l'accès limité aux services de santé et la perturbation des services bancaires".
Vendredi, lors d'une réunion publique du Conseil de sécurité de l'ONU, le secrétaire général adjoint par intérim aux affaires humanitaires de l'ONU a affirmé que plus de 400.000 personnes ont "franchi le seuil de la famine" dans la région et 1,8 million de personnes supplémentaires "sont au bord de la famine".
"Nous devons les atteindre maintenant. Pas la semaine prochaine. Maintenant", a-t-il lancé.
Les civils paient un lourd tribut dans ce conflit, marqué par de nombreux récits d'exactions sur les populations (massacres, viols, déplacements de population...).
Comme de nombreux pays et l'ONU les jours précédents, l'EHRC a appelé toutes les parties à respecter le cessez-le-feu, que le gouvernement fédéral éthiopien dit avoir décrété pour permettre la distribution d'aide humanitaire et le travail des cultures.
Si le gouvernement tigréen d'avant-guerre a appelé à "intensifier" la lutte et chasser tous les "ennemis" de la région, il a assuré vendredi soutenir l'ONU et les organisations "travaillant à fournir une assistance vitale" aux Tigréens, se disant "déterminé à faciliter l'accès humanitaire".
- Prisonniers de guerre -
Vendredi, un grand nombre de prisonniers de l'armée éthiopienne sont arrivés à Mekele, à pied et en camions, a constaté un journaliste de l'AFP.
Selon les TDF, il s'agit de plus de 7.000 soldats éthiopiens qui ont marché durant quatre jours depuis la localité d'Abdi Eshir, située à 75 kilomètres au sud-ouest de Mekele.
Traqués durant des mois par l'armée éthiopienne, les dirigeants de l'ancien gouvernement régional, dont son président Debretsion Gebremichael, ont fait leur retour dans la capitale tigréenne.
Contrôlant une grande partie de la région et fort d'un large soutien populaire, les TDF devraient désormais diriger leurs efforts vers les zones de l'ouest et du sud de la région, qui ont été annexées au début du conflit par les forces de l'Amhara.
Les Amharas estiment que le TPLF s'en est accaparé illégalement au début des années 1990.
L'EHRC indique par ailleurs surveiller des informations faisant état "d'arrestations d'employés de médias et d'habitants d'origine tigréenne soupçonnés d'être liés à la situation actuelle dans la région", pointant un "risque de profilage ethnique".