Acclamés par la foule, Seydou Boro et Salia Sanou sont enthousiastes. Les deux Burkinabè viennent de présenter leur chorégraphie à Avignon qu'ils ont créé 20 ans plus tôt. Mais cette fois-ci, les danseurs sur scène, ce ne sont pas eux, mais ils sont issus de leur école au Burkina.
"Quand on regarde tout notre parcours de ces 20 dernières années, ceux qui dansent sont des gens que nous avons formé, on forme 25 danseurs par an, et les revoir sur scène prendre notre place... On est content", explique Seydou Boro.
Les deux compères, après leurs années de formation en France, sont revenu à Ouagadougou pour créer leur école de danse.
Seydou et Salia, ce sont deux pionniers de la danse contemporaine au Burkina Faso mais après 20 ans d’expérience, ils font toujours face à des difficultés énormes.
"L'économie de la danse est aidée par le soutien de l'État, on aimerait qu'il y ait plus de financements pour soutenir la création en Afrique... Mais les choses avancent quand même", souligne Salia Sanou.
La culture a déjà du mal à se faire une place sur le continent. Après un coup d'État ou une guerre c’est tout un monde culturel qui s’effondre.
L'écrivain ivoirien Koffi Kwanhulé en sait quelque chose. Il était sur les planches à Avignon pour présenter sa pièce de théâtre intitulée "Ezechiel et les bruits de l'ombre".
"La culture n'est pas la priorité"
"Le théâtre ivoirien est moribond, surtout après la guerre civile, il y a eu un gros trou, et la culture n'est pas la priorité. Mais le théâtre renaît car on recommence à avoir foi en la paix".
Pourtant selon l'écrivain, les artistes ivoiriens talentueux ne manquent pas. Le problème est ailleurs.
"Les artistes seuls, ça ne suffit pas, il faut des structures, pas forcément de moyens que nous pouvons trouver après, mais il faut des infrastructures sans quoi rien de peut se passer".
Le Congolais Julien Bissila croit en la force des écrivains dans son pays, même s'ils n'ont nulle part pour se former à l’écriture.
"Il y a une pépinière, mais si on a pas de salle de théâtre au Congo, par exemple l'école d'art dramatique n'a jamais lancé sa première promotion, tout se passe dans la rue. Le théâtre au Congo n'est pas reconnu comme métier".
Sur les planches d'Avignon, le jeune auteur utilise son écriture pour critiquer envers son gouvernement et la Françafrique qu'il tourne en dérision. "La Françafrique, c'est comme un suppositoire, ça fait mal mais c'est pour ton bien". Une scène qu'il ne peut pas jouer au Congo, menacé de mort dans son pays natal.
Malgré le talent des auteurs comme Julien Bissila ou Koffi Kwanhulé , le théâtre africain a encore du mal à être reconnu mondialement.
Pendant le festival d'Avignon, aucun spectacle africain n'était étiqueté "théâtre", mais "indiscipline", une catégorie à part.
Le dramaturge congolais Dieudonné Niangouna, invité en tant qu'artiste à Avignon en 2013, n'a pas hésité à s'insurger sur sa page Facebook contre l'ambivalence d'un festival de théâtre qui présente un "Focus Afrique" sans un spectacle étiqueté "théâtre".
Il avait écrit : "inviter un continent sans sa parole est inviter un mort. C’est une façon comme une autre de déclarer que l’Afrique ne parle pas, n’accouche pas d’une pensée théâtrale dans le grand rendez-vous du donner et du recevoir. Et insister en invitant cette Afrique sous cette forme muselée, c’est bien pire qu’une injure. C’est inviter un mort à sa table, lui envoyer toutes les abominations à la gueule, sans se reprocher quoi que ce soit, parce que de toute évidence on sait que le mort ne parlera pas, et c’est bien la raison de cette invitation".
Nastasia Peteuil, envoyée spéciale à Avignon