Le manque d'accès aux tests est un problème mondial, et plus particulièrement en Afrique sub-saharienne, où il y a un "énorme fossé" par rapport aux autres pays, a déclaré la semaine dernière le directeur du Centre de contrôle des maladies de l'Union Africaine, John Nkengasong.
Toutefois, au Nigeria, pays de 200 millions d'habitants - le plus peuplé du continent - ce "fossé" est encore plus criant qu'ailleurs.
La première économie d'Afrique n'a réalisé à ce jour que 7.100 tests officiels.
A titre de comparaison, le Ghana, avec une population six fois moins importante (30 millions d'habitants) en a réalisé neuf fois plus, avec plus de 68.000 (chiffres du 20/04).
L'Afrique du Sud, avec une population trois fois moins nombreuse, en a réalisé près de 114.000.
- "Demande inimaginable" -
"Nous n'avons aucune idée de l'ampleur de la propagation du Covid-19 au Nigeria", affirme un responsable d'un laboratoire médical privé.
Ce laboratoire a commandé des milliers de tests et une machine qui leur permettrait de réaliser plusieurs centaines de tests par heure, et "attend le feu vert du gouvernement", affirme cette source à l'AFP.
Mais "la demande pour ces kits hors des circuits officiels est inimaginable" et suscite un marché parallèle, rapporte ce responsable.
"Une ambassade voulait commander des milliers de tests (pour ses ressortissants), on les a renvoyés vers la NCDC", la Commission nationale de gestion des maladies, rapporte-t-il.
Certains criminels tirent néanmoins partie de cette demande, et le gouvernement a récemment mis en garde les Nigérians contre des publicités de "tests à faire à domicile frauduleux" qui "fleurissent sur la Toile".
Comme dans de nombreux pays au monde, et pour des raisons évidentes de sécurité, les équipements spécialisés et les tests sont encadrés par les autorités officielles.
La NCDC conduit des programmes de tests en "porte à porte" à Abuja, et l'Etat de Lagos, épicentre des contaminations, tente de développer un réseau de dépistage dans tous ses quartiers.
A la mi-avril, le Nigeria comptait 12 laboratoires pour ses 36 Etats, avec une capacité de traiter entre 1.000 et 1.500 tests par jour.
- Secteur public à genoux -
Mais après des décennies de négligence, le secteur public de la santé est à genoux.
Près de 80% des institutions de santé dans le pays n'ont pas l'eau courante, rappelait Dr Francis Faduyile, le président de l'Association des médecins du Nigeria (NMA) le mois dernier.
"Mes patients ont peur que je les dénonce à la NCDC", raconte à l'AFP le médecin d'une clinique privée. "Avant de venir en consultation, ils me demandent +Si je viens, vous ne m'enverrez pas à Yaba?+", en référence à l'un des centres d'isolation Covid-19 à Lagos.
Ce médecin, début avril, avait déjà vu une dizaine de patients suspectés d'avoir été contaminés par le coronavirus, mais un seul a accepté d'être testé: un coup d'épée dans l'eau, puisque les autorités sanitaires ont réalisé son test plus de 15 jours après s'être déclaré au NCDC, soit après la période d'incubation du virus.
Le rythme des tests officiels est "trop lent", regrette Zouera Issoufou directrice générale de la Fondation Dangote, qui porte le nom de l'homme le plus riche d'Afrique et partenaire privé du gouvernement, qui a commandé 250.000 tests.
Mais la demande mondiale explose, et "ils arrivent au compte-goutte", explique-t-elle.
Si le nombre officiel de décès liés au Covid-19 reste extrêmement faible dans un pays dans un pays si peuplé qui n'enregistre qu'une vingtaine de décès, "c'est que l'on ne teste pas les gens", assène Mme Issoufou.
- Des tests "dans son coin" -
Le Dr Richard Banda de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) au Nigeria, s'inquiète de ce marché parallèle et rappelle qu'il est "très dangereux de faire des tests dans son coin, dans des laboratoires privés, avec un risque de propagation du virus".
Pour lui, "le manque d'informations fiables données lors des opérations de traçabilité est le problème majeur dans la lutte contre le Covid-19 au Nigeria".
"Il y a encore beaucoup de stigmatisation autour de la maladie", conclue-t-il.
Un patient a été admis fin mars à l'hôpital universitaire de Lagos (LUTH), présentant tous les symptômes du coronavirus. Sa famille a menti, en omettant de dire qu'il avait déjà été testé positif.
"Ils avaient peur qu'on ne le prenne pas s'ils disaient la vérité", raconte un médecin à l'AFP. Le patient est finalement décédé et en plus des risques présentés pour les autres patients de l'hôpital, quatre médecins ont du être placés en quarantaine.
Dans un pays qui compte seulement 0,4 médecin pour 1.000 habitants (contre plus de 4 en France, selon les chiffres de la Banque Mondiale), "c'est très lourd pour nous", confie ce médecin du LUTH sous couvert d'anonymat.
Le personnel soignant comptait déjà 4 décès sur les 21 morts recensés officiellement au lundi 20 avril.