Depuis longtemps, il n'a plus d'autre choix. Comme la plupart des retraités du Zimbabwe, Gift Kaondera-Shava, 80 ans, s'est résolu à passer la nuit devant sa banque, son seul espoir de pouvoir y retirer sa pension, dès l'ouverture des guichets.
Son "chèque" de fin de mois est pourtant modeste: 229 dollars américains, l'équivalent de 200 euros. Mais la crise qui frappe l'économie du pays est telle que les coffres des établissements financiers sont la plupart du temps à sec.
"On fait la queue pendant des jours et on nous dit qu'il n'y a plus d'argent. On n'a plus qu'à rentrer à la maison les mains vides", constate M. Kaondera-Shava. "Pensez que je ne peux retirer ma pension que si je fais la queue à partir de 1h00 du matin..."
"On court à la catastrophe", assène l'octogénaire, qui vit dans la banlieue dortoir de Chitungwiza, au sud de la capitale Harare. "Je ne vois vraiment pas comment on va s'en sortir".
Car depuis plus de dix ans, le Zimbabwe titube au bord d'un gouffre financier. Dirigé d'une main de fer par Robert Mugabe depuis 1980, le pays a connu une vertigineuse flambée des prix qui a atteint des centaines de milliards de pour cent. Cette folle inflation a fait perdre au dollar zimbabwéen toute sa valeur et contraint les autorités à adopter en 2009 le dollar américain et le rand sud-africain.
Le répit fut de courte durée. Aujourd'hui, le billet vert se fait de plus en plus rare, les retraits d'argent liquide sont strictement limités et l'Etat éprouve les pires difficultés à payer ses agents.
'Moins que rien'
Gift Kaondera-Shava se souvient bien des années d'hyperinflation: c'est là que ses ennuis ont commencé.
"L'économie a fait de moi un millionnaire, un milliardaire, un multimilliardaire et aujourd'hui un moins que rien", résume-t-il. "Il fut un temps où mes placards étaient pleins. Aujourd'hui, je ne peux même plus me payer un coup à boire".
Pour subvenir aux besoins de sa famille, l'ancien syndicaliste, qui avait passé sa vie à revendiquer des hausses de salaires, a repris le travail. Au noir, comme 80% de la population active du pays.
Successivement chauffeur de bus et de poids lourd, contremaître dans une usine puis formateur de conducteurs de chariot élévateur, il s'est fait hôtelier. Un temps, il a loué cinq des pièces de sa maison. Mais la crise a rendu ces loyers trop chers pour les locataires potentiels.
"J'ai gagné jusqu'à 300 dollars par mois en louant mes chambres mais c'est fini. Aujourd'hui, elles sont vides".
Alors le retraité a entamé une énième reconversion: il entretient à Chihota, au sud-est d'Harare, un potager qui lui rapporte 80 dollars par mois.
"Une goutte d'eau dans l'océan de mes factures mensuelles", lâche, dépité, Gift Kaondera-Shava.
John Charumbira, 71 ans, n'est pas loin, lui non plus, de toucher le fond. Après trente-six ans de bons et loyaux services rendus à la municipalité de Harare, cet horticulteur a pris sa retraite en 2011. Sa pension mensuelle de 60 dollars par mois ne suffit même pas à couvrir ses frais de médicaments pour la prostate.
'Oubliés'
Pour arrondir ses fins de mois, John Charumbira vend des fleurs dans les écoles ou les hôpitaux et élève des poulets et des porcs.
"Je ne peux pas compter sur mes enfants, qui n'ont pas été épargnés eux non plus par les difficultés", constate-t-il, amer.
Près des trois quarts des 16 millions d'habitants du Zimbabwe vivent aujourd'hui sous le seuil de pauvreté et le taux de chômage y frôle les 90% de la population active.
"La vie est très difficile pour les retraités, certains meurent de maladies liées à cette tension", déplore Japhet Moyo, le secrétaire général du Congrès des syndicats du pays. "Il semble que le gouvernement ait oublié leur contribution à la vie de ce pays".
Robert Mugabe déplore régulièrement la désastreuse situation économique de son pays, mais en rejette volontiers la responsabilité sur l'étranger.
Et à 92 ans, malgré l'âge, les critiques et les manifestations qui le défient dans la rue, il entend bien garder les rênes du pouvoir.
Pour tenter de remédier au manque de liquidités, son régime doit lancer à la fin du mois des "billets d'obligation", une sorte de nouvelle monnaie gagée sur le dollar américain.
Cette mesure a ravivé la crainte de l'hyperinflation et, surtout, son efficacité reste à démontrer.
Peu de chances en tout cas qu'elle change la vie de Philemon Tsvinyai, 63 ans, contraint de travailler dans les champs pour compléter sa pension de retraité de l'industrie textile.
Plus que de sa propre situation, M. Tsvinyai s'inquiète de celle de ses enfants. "J'en ai sept et tous vivent difficilement", lâche-t-il. "Franchement, je les plains".
Avec AFP