Sur l'une des rares routes bitumées de Centrafrique, les tensions liées au conflit sont retombées mais les défis se multiplient: mauvais état de la chaussée, racket des camionneurs, vol de marchandises, lourdeurs administratives...
"Tu arrives dans un contrôle, on t'exige 2.000 francs (CFA, 3 euros), 3.000... Pourquoi? On ne comprend plus. Trop de tracasseries!", s'exclame Evelin Bokassa, qui dit être un petit fils du fantasque despote dont il n'a d'héritage que le nom.
Dans la cabine de son 30 tonnes chargé d'huile de palme, de cinq chèvres, de canapés et autres sacs de semoules, Evelin qui est aussi délégué du convoi pour l'Union des syndicats de conducteurs centrafricains, slalome entre les nids de poule, les carcasses de camions abandonnées sur le bas côté et les quelques motos qui circulent sur l'axe.
Sur sa remorque, une vingtaine de passagers ont grimpé sur les marchandises contre 5.000 francs (7 euros) pour rejoindre Bangui, faute de bus public. Le trajet est long, la poussière rougit les tee-shirts et les bonnets.
Gardé par deux véhicules onusiens, en tête et en queue, le convoi avance lentement. Il serpente et s'étire sur une dizaine de kilomètres, au rythme des pannes mécaniques et autres aléas.
La longue file indienne comprend officiellement aujourd'hui 45 camions, certains transportant du matériel onusien -les seuls qui seront gardés s'ils tombent en panne-, mais la plupart emportent tout un fatras de marchandises commerciales. Sont venus se greffer en queue de peloton une cinquantaine d'autres poids lourds.
Villageois et pillards
"Je suis bloqué là", lâche Idriss, dépité, adossé à son camion arrêté. L'engin de ce camerounais de 27 ans vient de tomber en panne avant Bossembélé, à mi-chemin entre la frontière camerounaise et Bangui.
"J'ai peur que les villageois arrivent avec des armes pour me menacer", explique le jeune homme, seul avec un passager centrafricain. Il est 18H00. Bientôt, la nuit noire reprendra ses droits. Des Casques bleus bangladeshi viennent finalement prendre position autour de son camion. "Parfois, ils ne s'arrêtent pas, je ne comprends pas", s'étonne, soulagé, le routier.
Les Casques bleus ont des consignes précises: si les camions en panne ne transportent pas de matériel onusien, les soldats de l'ONU continuent leur route, après avoir fait signer une décharge au conducteur. Idriss ne le sait pas mais il est chanceux: sur sa remorque trône un véhicule estampillé "ONU".
Le blindé et le poids-lourd resteront ensemble jusqu'à l'aube, sans mot dire - faute de langue commune pour communiquer, attendant qu'un autre camion revienne remorquer celui d'Idriss.
Plus loin, sur le bas côté, un camion est dans le fossé. Des villageois l'entourent, fusils de chasse et machettes à la main. "Ils sont là pour lui proposer de sécuriser le véhicule", raconte Evelin en dépassant le véhicule.
"Mais ce sont les mêmes villageois qui reviendront piller son chargement si le conducteur refuse de payer les 10.000 ou 15.000 francs (23 euros) qu'ils demandent".
Taxes
Les camionneurs se plaignent de tout le temps devoir mettre la main à la poche: à Beloko, un groupe armé -le FPDC- a installé un barrage, et taxe chaque camion, sous les yeux des Casques bleus. "C'est 2.000 francs ou ils te tuent", assure froidement Thierry, chauffeur centrafricain.
A Binenge, ce sont les habitants qui refont la route en terre creusée par la pluie. "On ne veut pas d'accident, (alors) on a arrangé la route", sourit l'un de ces cantonniers d'occasion, qui exige des routiers un billet de 1.000 francs pour soulever sa petite barrière de bois.
Les armes ne sont jamais loin, et les conducteurs n'ont d'autre choix que de se plier aux volontés des coupeurs de route.
Ce tronçon du voyage long d'une soixantaine de km est le plus pénible: la route n'est pas bitumée, et nombreux sont les camions qui restent bloqués dans la boue. Chaque arrêt ralentit toute la suite du convoi.
"Aujourd'hui, on a de la chance, il n'a pas plu et on a rejoint Bangui en cinq jours", dit Evelin. Mais quand les trombes d'eau viennent s'ajouter aux tracas de la route, il n'est pas rare que le convoi reste des jours à attendre.
"Cette route est compliquée. Le seul tronçon qui est bon est celui en dur, construit par l'empereur" Bokassa, explique Evelin.
Lui repartira dans quelques jours faire le même trajet, en sens inverse. "Ca fait douze ans que je fais ça. J'ai envie d'autre chose", dit-il. "Pourquoi pas aller travailler en Europe, il paraît que les routes sont belles là-bas, n'est-ce pas?"
Avec AFP