Comme chaque année, sur l'île méridionale de Djerba, la Ghriba abrite durant deux jours (vendredi et dimanche) un pèlerinage juif qui attire des fidèles de tous âges venus de Tunisie mais aussi d'Europe, d'Israël et des Etats-Unis.
Au premier jour, des centaines de pèlerins se sont ainsi pressés dans le petit édifice, situé à l'écart du village d'Erriadh, pour prier, allumer des bougies et inscrire des voeux sur des oeufs ensuite déposés dans une cavité.
En Tunisie, où l'écrasante majorité de la population est musulmane, le nombre de citoyens de confession juive est passé de près de 100.000 avant l'indépendance (1956) à seulement 1.500 de nos jours.
Alors que le pays d'Afrique du Nord a été frappé jusqu'à l'an dernier par une série d'attaques jihadistes, beaucoup ont encore hésité cette année à faire ce voyage.
- 'Appréhension' -
Sabrina, jeune Parisienne dont les deux parents sont natifs de Tunis, admet "une appréhension".
Mais "c'était important après la naissance de la petite, c'est un miracle de Dieu", explique-t-elle, son nourrisson dans les bras.
"Et là on se sent rassuré, c'est chaleureux, c'est vraiment ce qu'on attendait", enchaîne la jeune femme, sous le regard de son mari.
En fond sonore, un hélicoptère survole le site par ailleurs quadrillé au sol par des dizaines de policiers, militaires et membres de la Brigade antiterroriste (BAT), entre autres.
Dans son histoire, la synagogue a été ensanglantée à deux reprises: en 1985, plusieurs personnes sont tuées par un policier. Puis, en avril 2002, 21 personnes, dont une majorité d'Allemands, périssent dans un attentat revendiqué par Al-Qaïda.
A l'époque, le pèlerinage frôlait les 10.000 visiteurs. Ce chiffre ne sera plus jamais atteint.
"Beaucoup de choses ont changé depuis. Avant l'attentat, le pèlerinage était très développé, et il y avait beaucoup de touristes à Djerba. Ca nous a fait du mal", raconte Khoudir Hanniya, la cinquantaine.
Les Allemands, par exemple, "ne sont pas revenus", observe ce natif de Djerba qui veille quotidiennement "depuis 20 ans" sur la synagogue.
Cette année, M. Hanniya, tout comme de nombreux pèlerins, espèrent voir les premiers signes d'une reprise, alors que la Tunisie jouit d'une relative stabilité ces dernières années et n'a pas connu d'attentats majeurs depuis plus d'un an.
Si "revenir à l'avant 2002 va être difficile, on espère que ça sera une grande réussite", explique-t-il.
- 'Attachement spécial' -
Président de la synagogue depuis 1985, Perez Trabelsi se dit également "optimiste". "Pour la première fois depuis la révolution de 2011, on constate un regain de fréquentation", signale-t-il.
Son fils René, co-organisateur et responsable d'une agence de voyage, confirme: "Ca se passe très bien, on progresse. Ces dernières années, on a tenu bon. Il se réjouit par ailleurs que l'Etat tunisien apporte son aide, "surtout au niveau sécuritaire".
Selon lui, "à nouveau, les pèlerins ne viennent plus seulement de France". Parmi les autres nationalités, 200 Israéliens dont Aziz Baroum, 60 ans, qui vit à Ashkelon (sud d'Israël).
"L'an dernier, j'étais venu avec un seul ami, cette année nous sommes quatre!", résume-t-il.
D'après les Trabelsi, le nombre de visiteurs pourrait atteindre 3.000 d'ici dimanche, un chiffre difficilement vérifiable.
Quoi qu'il en soit, "ce retour de pèlerins, (...) ça démontre qu'il y a un attachement spécial. Ils montrent leur amour pour la Tunisie, et la Tunisie le leur rend bien", affirme René.
La Tunisie, Colette Bismuth-Jarassé l'a quittée enfant, en 1961, pour la France. Après avoir mis 30 ans à "affronter ce passé", elle est venue plusieurs fois à la Ghriba, et s'est lancée dans la rédaction d'un ouvrage sur "la centaine de synagogues de Tunisie", dont 23 à Djerba.
"Le pèlerinage n'a plus l'image et la vitalité qu'il a connues, mais c'est un lieu extrêmement important", juge-t-elle.
Au-delà de cet évènement, cette professeure de lettres affiche son propre objectif pour les prochaines années: "Que le patrimoine religieux de Djerba soit enfin classé au patrimoine mondial de l'Unesco".
Avec AFP