Cette décision traduit une escalade supplémentaire dans la crise politique qui agite ce pays pétrolier depuis la large victoire de l'opposition antichaviste (du nom de l'ancien président Hugo Chavez, 1999-2013) aux élections législatives fin 2015, pour la première fois en 17 ans.
Depuis janvier 2016, la Cour suprême a déclaré nuls tous les votes de l'Assemblée nationale, en réaction à l'investiture de trois députés antichavistes dont l'élection était entachée de soupçons. Elle n'a cessé depuis de rogner le pouvoir des législateurs.
"Tant que l'Assemblée nationale sera hors-la-loi, les compétences parlementaires seront exercées directement par la chambre constitutionnelle (de la Cour suprême)", selon la décision publiée par la plus haute juridiction du pays dans la nuit de mercredi à jeudi.
Le régime présidentialiste vénézuélien concentre à présent tous les pouvoirs : exécutif, armée, justice et législatif.
"Au Venezuela, Nicolas Maduro vient de commettre un coup d'Etat", a dénoncé le président du Parlement Julio Borges lors d'une conférence de presse, en appelant l'armée à sortir du "silence" face à la rupture de l'ordre constitutionnel.
"Nicolas Maduro ne peut pas être au-dessus de la Constitution", a-t-il lancé, estimant que le président avait "retiré le pouvoir au peuple vénézuélien".
"C'est un tribunal frauduleux qui interprète la Constitution à l'encontre de son propre texte", a réagi jeudi le député d'opposition Henry Ramos Allup, également ancien président du Parlement unicaméral de ce pays.
Il a appelé les députés à "continuer à exercer (leurs) fonctions, quels que soient les risques, car nous n'avons pas été désignés députés mais nous avons été élus".
Dernière décision en date du Tribunal suprême de justice (TSJ) ou Cour suprême : les députés, majoritairement d'opposition, ont été privés mardi de leur immunité, ce qui les expose à de possibles procès pour haute trahison devant des instances militaires.
La mesure de mardi apparaissait déjà comme une sanction contre le pouvoir législatif, le seul à ne pas être contrôlé par Nicolas Maduro et ses proches. Elle renforce les prérogatives du chef de l'Etat, habilité à prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la "stabilité démocratique".
- 'Renforcer la pression' -
Le 21 mars, les députés vénézuéliens avait adopté une motion appelant l'Organisation des Etats américains (OEA) à convoquer son conseil permanent pour examiner d'éventuelles sanctions contre ce pays.
Cette réunion qui se tenait mardi à Washington a débouché sur une déclaration commune où la majorité des pays de l'institution ont exprimé leur "inquiétude devant la difficile situation politique, économique, sociale et humanitaire" du Venezuela.
L'opposition veut pousser le chef de l'Etat vers la sortie et exige une élection présidentielle anticipée avant celle prévue en décembre 2018. A l'inverse, le président Nicolas Maduro accuse l'OEA d'encourager une "intervention internationale".
"La Cour suprême, l'institution qui est censée être la garante de la loi, des droits et de la Constitution, vient tout simplement de violer la Constitution. Ce n'est pas n'importe quel organisme. Qui avait déjà entendu parler d'un coup d'Etat d'une Cour suprême ?", s'est demandé Christopher Sabatini, expert de l'Amérique latine à l'université de Columbia de New York.
"Cette décision est majeure car elle illustre la fuite en avant du gouvernement de Maduro qui se repose du plus en plus sur l'armée pour survivre, malgré la débâcle économique du pays", a déclaré à l'AFP Gaspard Estrada, directeur exécutif de l'Observatoire politique de l'Amérique latine et des Caraïbes (Opalc).
Outre le choc des pouvoirs au Venezuela, ce pays parmi les plus violents au monde est frappé par une pénurie qui concerne 68% des produits de base et l'inflation y est devenue incontrôlable (1.660% fin 2017, prédit le FMI).
Au-delà de l'aspect politique et institutionnel, la décision du TSJ permet au gouvernement de Nicolas Maduro de court-circuiter le Parlement en matière économique. Ainsi, l'exécutif ne sera plus obligé d'obtenir l'approbation des députés pour signer des contrats d'intérêt public avec des Etats ou des entreprises étrangères et créer des entreprises mixtes dans le secteur pétrolier.
Avec AFP