"Ils n'ont jamais fini l'école. Ils vous disaient une chose le matin, une autre à midi et encore une autre le soir", ce qui rendait leurs revendications difficiles à comprendre, explique Kasereka Muhina Djeph Lumumba III en recevant des journalistes de l'AFP dans son petit bureau ouvert sur la rue.
Les milices maï-maï, groupes "d'autodéfense" généralement constitués sur une base ethnique, semblaient oubliées dans cette ville du nord de la province du Nord-Kivu, jusqu'à ce mois d'octobre.
Selon les témoignages recueillis par l'AFP, un premier groupe de combattants s'installe mi-octobre sur le mont Carmel, colline agricole proche de Rughenda, à la limite orientale de Butembo.
Deux autres groupes maï-maï leur succèdent jusqu'à ce que les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) parviennent finalement à les déloger début novembre à coups de lance-roquettes et de kalachnikovs, après que les miliciens eurent attaqué un commissariat et égorgé deux policiers.
En face des soldats : entre plusieurs dizaines et une centaine d'hommes,selon les dires des habitants, difficiles à faire concorder. Mais tous s'accordent pour dire qu'ils étaient tatoués, et armés d'arcs, de lances ou lance-pierres.
Pendant la deuxième guerre du Congo (1998-2003), nombre de groupes maï-maï ont été armés par le pouvoir pour combattre les envahisseurs ougandais ou rwandais. Certains, notamment au Nord-Kivu, région déchirée par les conflits depuis plus de vingt ans, n'ont jamais désarmé.
Au mont Carmel, le chemin de terre brun-jaune monte au milieu des plantations de haricots et des bananiers entourant de modestes maisons en torchis.
Au niveau d'une église baptiste où répète un choeur, une section FARDC empêche les journalistes d'aller plus loin : dans cette zone d'opération, impossible de passer sans une autorisation du commandement qui n'arrivera jamais en dépit de demandes répétées de l'AFP.
Une fois les soldats à distance, quelques hommes du quartier acceptent de parler, sous couvert d'anonymat.
"Quand le premier groupe est arrivé, on a eu peur [car c'étaient] des inconnus", explique un cultivateur. Mais il a bien fallu vivre avec eux
Sentiment d'abandon
"On leur a donné à manger", dit un autre, "ils ont dit qu'ils venaient de Kirumba", à quelque 240 km au sud, et qu'ils allaient "à Beni combattre les égorgeurs".
Située à une soixantaine de kilomètres au nord de Butembo, la ville de Beni et ses environs sont le théâtre depuis octobre 2014 d'une succession de massacres dans lesquels plus de 700 civils ont péri, surtout à l'arme blanche.
Ni les autorités ni la Mission de l'ONU en RDC (Monusco) n'ont encore identifié précisément les auteurs de ces tueries.
La présence des soldats n'enchante guère le voisinage. Plusieurs habitants les accusent de rançonner la population. Finalement, déclare un ancien, "on vivait très bien avec les maï-maï", d'ethnie Nande, comme la quasi-totalité des habitants de Butembo.
M. Kasereka, le chef de quartier, refuse de croire à une collusion de la population avec ces "inciviques" qui ont "réquisitionné quelques habitants pour leur construire des huttes". Mais "comme il y a une population qui n'a aucune protection, elle se sent obligée de les accueillir, par peur", dit-il.
Pourtant, plusieurs habitants disent avoir reconnu des gens de Butembo dans les maï-maï arrivés après le premier groupe.
Naguère prospère, cette ville de 1,1 million d'habitants, apparaît aujourd'hui totalement dépourvue d'infrastructures, sans emplois à offrir ou presque.
"La population a le sentiment d'être abandonnée à son triste sort" et les hommes désoeuvrés "sont des proies faciles" pour les milices, dit un prêtre.
Godefroid Kambere Matimbya, maire-adjoint, se demande si la réapparition des maï-maï "n'est pas due à la conjoncture politique du moment".
Au marché de Rughenda, on les a entendu déclarer vouloir déloger le président Joseph Kabila le 20 décembre, date de la fin de son mandat.
M. Kabila est au pouvoir depuis 2001 et la Constitution lui interdit de se représenter mais son gouvernement n'a pas organisé d'élection à temps et il entend rester en poste en vertu d'un arrêt de la Cour constitutionnelle jugé de nul effet par ses détracteurs.
Selon certains témoignages, les maï-maï achetaient au marché "avec l'argent".
"Ils ont les moyens", s'inquiète Edgar Mateso, de la Coordination de la société civile de Butembo, "on ne sait pas qui les organise" mais "apparemment ils sont en train de se coaliser" désormais hors de la ville.
Avec AFP