Angola: l'étau judiciaire se resserre autour du clan dos Santos

Isabel dos Santos, fille de l'ex président angolais Jose Eduardo dos Santos

La guerre qui oppose l'ex-président angolais Jose Eduardo dos Santos au gouvernement de son successeur Joao Lourenço a repris de plus belle en Angola, avec la décision de la justice de bloquer les actifs de sa richissime fille? Isabel dos Santos.

Le parquet général angolais a annoncé lundi qu'un tribunal de Luanda avait ordonné le gel des comptes bancaires et des actifs de Mme dos Santos, présentée comme la femme la plus riche d'Afrique, dans plusieurs entreprises angolaises.

Depuis qu'il a pris les rênes de l'Angola en 2017, M. Lourenço s'est débarrassé sans ménagement de tous les proches de M. dos Santos qui cadenassaient l'Etat et ses entreprises publiques, au nom de la lutte contre la corruption.

Selon la justice, Isabel dos Santos est soupçonnée, avec son époux d'origine congolaise Sindika Dokolo et leur conseiller financier portugais? Mario da Silva, d'avoir détourné plus d'un milliard de dollars d'argent public.

"L'Etat, via ses entreprises (publiques) Sodiam (diamant) et Sonangol (pétrole), a transféré d'importantes sommes en devises étrangères qui ont bénéficié à des compagnies étrangères dont les accusés sont les bénéficiaires, sans en obtenir le retour attendu", a indiqué le parquet.

Mardi soir, celle que les Angolais appellent "la princesse" a dénonçé des allégations truffées "de mensonges évidents, d'erreurs et d'omissions" et "manifestement arbitraires et motivées politiquement".

Jose Eduardo dos Santos a dirigé l'Angola d'une main de fer pendant trente-huit ans (1979-2017). Ses critiques lui reprochent d'avoir mis l'économie du pays en coupe réglée au profit d'une poignée de proches.

- 'Première milliardaire d'Afrique' -

L'Angola est le deuxième pays producteur de pétrole d'Afrique subsaharienne, mais plus d'un tiers (36%) de ses 30 millions d'habitants y vivent dans une pauvreté extrême, selon l'ONU.

Fille de la première épouse russe de M. dos Santos, sa fille Isabel est le symbole de la mainmise de son clan sur le pays.

Nommée "première femme milliardaire d'Afrique" en 2013 par le magazine américain Forbes, elle détient d'importantes participations dans les télécommunications (Unitel, premier opérateur d'Angola, et le géant Nos au Portugal) et les banques (BIC en Angola et PBI au Portugal).

Juste avant sa retraite, son père l'avait nommée à la tête de la toute-puissante compagnie pétrolière nationale Sonangol.

Le président Joao Lourenço l'a spectaculairement démise de ses fonctions fin 2017, dans le cadre d'une vaste opération de nettoyage des institutions, des entreprises publiques et de l'appareil sécuritaire du pays.

Evincé de la direction du fonds souverain angolais, le demi-frère d'Isabel dos Santos, Jose Filomeno dos Santos, est jugé depuis le mois dernier pour détournement de fonds publics.

La justice avait ouvert en 2018 une enquête sur un versement "suspect" de la Sonangol vers une société offshore appartenant à Mme dos Santos pour un investissement dont la compagnie pétrolière n'a jamais vu la couleur.

Le parquet général a évoqué un "investissement" similaire dont elle aurait bénéficié de la société diamantifère d'Etat Sodiam.

- 'Retour de l'arbitraire' -

Selon la justice, Isabel dos Santos a récemment tenté de protéger ses avoirs en les transférant du Portugal, ajoutant que la police portugaise avait intercepté 10 millions d'euros à destination de la Russie.

"C'est faux", a-t-elle réagi mercredi en portugais sur Twitter.

En anglais cette fois, la femme d'affaires a regretté que son "droit à la propriété" ait été "violé de façon désinvolte par le biais de mensonges". "Cela ne laisse pas présager d'un avenir radieux pour l'Etat de droit en Angola", a-t-elle insisté.

L'opposition s'est réjouie du gel des avoirs de Mme dos Santos. Ça confirme ce que nous disons depuis 1975, ce pays est victime de la kleptocratie", a déclaré à l'AFP un porte-parole de son principal mouvement, l'Unita, Marcial Dachala.

"Désormais, plus personne n'est intouchable", a salué le journaliste d'investigation Rafael Marques, pourfendeur du régime dos Santos.

"La justice est toujours entre les mains du pouvoir", a regretté pour sa part le rappeur Luaty Beirao, emprisonné sous l'ère dos Santos. "Si sa décision semble aujourd'hui répondre au désir du peuple, elle pourrait demain servir à traquer l'opposition".

Ce nouvel épisode de la bataille entre le régime et le clan dos Santos intervient alors que M. Lourenço ne parvient toujours pas à enrayer la grave crise économique qui frappe son pays depuis la chute des cours de l'or noir en 2014.

Interrogé par Radio France Internationale (RFI), Sindika Dokolo a dénoncé une "espèce de vendetta". "On voudrait réécrire l'Histoire, trouver des responsables d'une situation économique difficile", a-t-il regretté, "cela me semble très manipulateur".