Au Maroc, l'"artiviste" Zainab Fasiki veut libérer la femme avec la BD

Zainab Fasiki, caricaturiste marocaine et militante des droits des femmes, avec son dernier livre intitulé "Hshouma", dans la ville côtière de Casabalanca, à l'ouest du Maroc, le 17 mars 2021.

Zainab Fasiki, pionnière de la bande dessinée féministe au Maroc, anime régulièrement des ateliers où des jeunes sont encouragés à déployer leur talent pour le "changement social" en vue de la libération des femmes.

Sa dernière intervention a réuni une dizaine d'étudiants et de professionnels mi-mars à Casablanca. Sa mission: les aider à trouver des réponses créatives aux réactions toxiques générées par une campagne contre le viol, intitulée #TaAnaMeToo (moi aussi).

"On est là pour corriger cette culture de viol, selon laquelle la victime mérite ce qu'il lui est arrivé alors que le criminel est innocent", dit-elle, les yeux brillants d'indignation.

"Maintenant, à vous de trouver un commentaire négatif et d'y répondre!", lance-t-elle aux participants de l'atelier, avant de les laisser travailler, sur tablette ou sur papier.

Zainab Fasiki, 26 ans, se définit comme une "artiviste", à la fois artiste et activiste. Pour elle, "l'art est un outil majeur pour le changement, l'image a un pouvoir, surtout sur les réseaux sociaux".

Toujours prête à aider la cause des femmes, la dessinatrice a illustré pour la websérie #TaAnaMeToo le témoignage poignant d'une Marocaine de 22 ans, violée pendant des années par son frère, dans l'indifférence totale de ses parents.

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"Honte"

Contrairement au mouvement #MeToo, les quelques victimes ayant accepté de parler dans cette série voulaient rester anonymes, leurs voix ont été modifiées et leur récit posé sur des animations.

Car, au-delà de la "honte" et du rejet familial, la dénonciation d'un viol peut se traduire par des poursuites pénales pour "sexe hors mariage" selon la loi marocaine, comme le rappelle Youssef Ziraoui, producteur de la série.

Zainab Fasiki dit être "devenue féministe à l'âge de 14 ans, à l'arrivée des hormones", en ressentant que, souvent, dans son pays, "être une femme est un péché".

"Il y a cette culture où l'homme doit corriger la femme, surveiller la femme, c'est cela le système patriarcal: l'homme nous traite comme si on n'était pas des êtres humains responsables de leurs choix", explique-t-elle.

Avec ses crayons, elle milite "pour le changement de lois écrites par des hommes pour contrôler le corps de la femme".

Son mentor: Simone de Beauvoir. Sa bible: "Le deuxième sexe". Sa formation artistique: "lire des bandes dessinées" dans son enfance, "travailler dans sa chambre" à l'adolescence et "rencontrer des auteurs de BD pendant des festivals" une fois en âge de voyager.

L'autodidacte s'est fait connaitre sur les réseaux sociaux par ses autoportraits nus puis par ses planches montrant "le corps féminin tel qu'il est, sans tabou".

"Résistance"

"Certaines féministes pensent que dessiner le corps féminin nu ne sert pas la cause, moi je trouve que c'est une révolution, une résistance face à une histoire basée sur le patriarcat", assène-t-elle.

Son album "Hshouma" (pudeur), un terme qui recouvre la "culture de la honte" entourant le corps des femmes dans son pays, a élargi son audience dans un pays où l'éducation sexuelle reste tabou.

Elle n'a pas réussi à trouver d'éditeur au Maroc. Son ouvrage a finalement été publié à Paris en 2019 par les éditions Massot et plusieurs fois réédité, avec de "bonnes ventes" au Maroc, explique à l'AFP Florent Massot, son éditeur.

"Zainab est très courageuse", elle est "toujours très positive alors qu'elle se fait tellement insulter sur les réseaux sociaux", dit-il.

Signe de consécration, l'artiviste prépare une "grande exposition" au musée d'art contemporain de Tetouan (nord) à la rentrée prochaine et donnera des cours aux étudiants de l'Ecole des Beaux-Arts. Elle jubile de pouvoir ainsi contrer "les artistes qui prêchent contre la nudité artistique".

Avec ses formations, Zainab Fasiki veut "développer la présence féminine dans l'art", ce qui, selon elle, suppose avant tout "d'aider les filles à échapper au contrôle de leur famille".

"Quand j'ai commencé à publier sur les réseaux sociaux, ma famille m'a dit 'soit tu arrêtes, soit on ne te considère plus comme un membre de la famille'", raconte-t-elle. Elle n'a pas arrêté.

Mais, selon elle, "ce genre de contrôle exercé sur des enfants qui ne font rien de mal à part vivre leur passion, a détruit des milliers de talents".