Avant les législatives, les déplacés anglophones désespèrent d'une solution politique au Cameroun

Le drapeau du Cameroun à Buea, le 26 avril 2018. (AFP)

Après avoir fui pour Yaoundé les régions anglophones de l'ouest camerounais pour sauver ses quatre petits-enfants, menacés par la guerre sanglante qui oppose les indépendantistes à l'armée, Judith Ndome, 59 ans, ne veut plus entendre parler de politique.

Et même si elle voulait voter dimanche aux législatives et aux municipales, elle ne le pourrait pas, se trouvant désormais loin de sa circonscription.

Elle a dû fuir les tirs d'hommes armés, sans savoir s'il s'agissait de séparatistes ou de soldats, laissant derrière elle sa soeur qui ne pouvait pas courir.

"Avec tout ce que j'ai vu, je ne veux pas voter", explique-t-elle dans la cour du bâtiment scolaire servant de bureau à HaRo, l'une des rares organisations à prendre soin des déplacés.

De toute manière, souligne-t-elle, comme bon nombre des personnes ayant fui, elle n'a plus de papiers et ne peut pas s'inscrire sur les listes électorales.

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Depuis le début du conflit qui a fait plus de 3.000 morts en près de trois ans dans les deux régions anglophones, le Sud-Ouest et le Nord-Ouest, plus de 700.000 personnes ont quitté leurs domiciles, selon différentes ONG.

Avant la crise, Judith Ndome avait un commerce d'instruments de musique, qu'elle achetait au Cameroun et revendait au Nigeria voisin. Mais ses camions sont partis en fumée dès le début du conflit.

Violences en hausse

"Les gens continuent de m'appeler, mais s'ils me voyaient, ils ne me reconnaîtraient pas", affirme-t-elle, découvrant son crâne rasé par souci d'économie.

Comme elle, Pascaline Awumbom, 32 ans, a les larmes aux yeux en avouant devoir mendier pour survivre.

Après que son père a été tué par des hommes armés qui l'ont poignardé dans le dos, elle est arrivée à Yaoundé avec ses cinq enfants, ceux de sa soeur et son mari. Elle partage une petite chambre avec toute sa famille.

Elle affirme que la situation de ses proches restés dans l'Ouest, où vit l'essentiel de la minorité anglophone camerounaise, a empiré. Surtout depuis l'annonce des élections, que les indépendantistes veulent empêcher en multipliant les attaques, les barrages et les intimidations.

"Je parle à ma mère, on ne peut pas bouger, même pour aller à la ferme. On ne peut pas s'adresser à l'armée, on ne peut pas parler aux Amba-je-ne-sais-quoi". Elle parle des Ambazoniens, ces séparatistes qui veulent transformer les deux régions anglophones en un Etat indépendant, l'Ambazonie.

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Selon Amnesty International, les homicides et exactions commis par l'armée et les séparatistes sont bien en hausse à l'approche des élections.

Pascaline, elle non plus, ne croit pas à une solution politique, malgré le Grand dialogue national organisé en octobre par le président Paul Biya, au pouvoir depuis 37 ans, pour résoudre la crise anglophone.

"Je prie Dieu chaque jour, car lui seul peut résoudre la situation, aucun homme ne le peut", affirme-t-elle, fataliste.

Étudiants ciblés

A 19 ans, Katherine Ompi, elle, veut encore y croire. "J'ai de l'espoir, car le président a dit que tout irait bien. Alors je crois qu'il va faire de son mieux", glisse-t-elle d'une petite voix, les yeux dans le vague.

Le parti de M. Biya est assuré d'emporter haut la main le scrutin, boycotté par une partie importante de l'opposition. A la présidentielle de 2018, seuls 5% des électeurs ont voté dans le Nord-Ouest et à peine 15% dans le Sud-Ouest.

En juillet, Katherine a quitté sa banlieue de Buea, dans le Sud-Ouest. Dans cette ville longtemps le centre intellectuel et économique des régions anglophones, les indépendantistes imposent des journées villes mortes, et s'en prennent particulièrement aux étudiants.

"Des garçons rentraient dans nos logements, ils nous menaçaient, on les suppliait en leur disant qu'on n'allait pas en cours", raconte-t-elle.

Elle quitte Buea en juillet, enceinte de l'un de ces assaillants qui l'a violée, pour retrouver sa mère, déjà réfugiée à Yaoundé. En vain.

Comme Pascaline Awumbwom, qui avait pu fuir grâce à l'aide d'un pasteur anglophone établi à Yaoundé, Katherine Ompi a quitté sa région natale grâce à un chauffeur, qui a refusé de prendre son argent à son arrivée à la capitale.

Le gouvernement n'a pas mis en place de structure pour aider les déplacés. L'organisation HaRo, une des petites structures indépendantes mises en place par des anglophones pour aider les déplacés, dépend principalement de dons de particuliers, anglophones eux aussi, affirme son responsable, Fritz Kwa Mendi.

"Nous avons reçu 2.250 déplacés interne à Yaoundé, ils viennent car c'est le centre politique et ils pensent y trouver la sécurité", affirme-t-il.