Les clés pour comprendre la contestation en justice de la présidentielle au Kenya

Les forces de l’ordre se déploient au lieu où des partisans du candidat de l’opposition Raila Odinga protestent à Kisumu, Kenya, 12 août 2017.

La Cour suprême du Kenya a achevé mardi tard dans la soirée deux jours d'audience durant lesquels l'opposition a détaillé les fraudes qui ont selon elle entaché l'élection présidentielle du 8 août, les avocats de la Commission électorale (IEBC) et du président réélu Uhuru Kenyatta contestant leur existence.

Saluant la bonne tenue des débats, qui ont contrasté avec le ton acrimonieux de la campagne et les violences - au moins 21 morts - ayant suivi les élections, les 7 juges se sont retirés pour délibérer.

Le jugement, très attendu dans un pays où les élections se jouent principalement sur des sentiments d'appartenance ethnique et géographique, sera prononcé vendredi.

Comment se sont déroulées les élections ?

Le jour du scrutin s'est globalement déroulé dans le calme. Plus de 15,5 millions de Kényans ont voté pour élire leurs président, gouverneurs, députés, sénateurs, élus locaux et représentantes des femmes à l'Assemblée. L'écrasante majorité des observateurs internationaux a salué la bonne tenue des opérations de vote.

La présidentielle, précédée d'une campagne marquée par l'assassinat d'un responsable informatique de l'IEBC, opposait le sortant Uhuru Kenyatta à Raila Odinga, déjà trois fois candidat malheureux à la présidentielle (1997, 2007, 2013).

Dès la nuit du 8 au 9 août, l'opposition a crié à la fraude électorale.

La proclamation le 11 août de la victoire de M. Kenyatta avec 54,27% des voix - contre 44,74% pour M. Odinga - a été suivie de deux jours de manifestations et d'émeutes réprimées par la police dans des bidonvilles de Nairobi et dans l'Ouest, des bastions de l'opposition.

Au moins 21 personnes ont été tuées - pour l'essentiel par la police - dans ces violences post-électorales, selon un bilan de l'AFP.

Redoutées, ces violences n'ont toutefois pas atteint le niveau de celles, politico-ethniques, qui avaient suivi la présidentielle de 2007 (1.100 morts), le contexte politique actuel étant très différent.

En images : Troubles après la publication des résultats de la présidentielle au Kenya

Que veut l'opposition ?

Après avoir dans un premier temps exclu de saisir la justice, l'opposition a demandé à la Cour suprême d'annuler le résultat de la présidentielle.

Les avocats de l'opposition ont dénoncé "une litanie" d'irrégularités, reprochant notamment à l'IEBC d'avoir mis plusieurs jours à publier de nombreux procès-verbaux de bureaux de vote et circonscriptions, un laps de temps qui a pu, selon elle, permettre leur falsification.

La Cour suprême a autorisé l'opposition à consulter certains documents originaux de l'IEBC, dont les procès-verbaux, ses serveurs informatiques et les données GPS des kits de reconnaissance biométrique des électeurs.

L'accès à ces documents aura finalement été partiel, mais suffisant pour prouver les fraudes alléguées, a soutenu le principal avocat de l'opposition, James Orengo, qui a évoqué des procès-verbaux non signés ou d'autres ne présentant pas les signes d'authentification prévus par l'IEBC. Au total, a-t-il affirmé, plus de 5 millions de votes sont concernés par ces irrégularités.

L'IEBC reconnaît avoir décelé quelques "erreurs humaines commises par inadvertance", mais dit les avoir corrigées.

Contrairement à l'opposition, qui réclame l'annulation du scrutin quelle que soit l'ampleur des irrégularités, l'IEBC et le camp de M. Kenyatta soutiennent en substance que la Cour suprême ne doit annuler l'élection que si elle juge que ces erreurs ont influencé le résultat et donc la volonté du peuple souverain, ce qu'ils contestent.

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Incidents près de Nairobi dans l'attente des résultats (vidéo)

Quels enjeux pour le Kenya ?

Soit la Cour suprême valide l'élection et M. Kenyatta sera investi une semaine plus tard pour un second mandat de cinq ans. Soit elle annule le scrutin, et l'IEBC disposera de 60 jours pour organiser une nouvelle présidentielle.

L'attitude des dirigeants déçus ainsi que celle de leurs partisans sera suivie de près, et selon les observateurs, beaucoup dépendra de la qualité du jugement de la Cour suprême, qui est définitif.

En 2013, cette dernière avait été très critiquée pour la manière dont elle avait débouté M. Odinga, avec notamment l'usage d'une jurisprudence discutable et le rejet de documents pour des arguties procédurales.

Murithi Muthiga, du centre d'analyse International Crisis Group (ICG), estime que la procédure actuelle a jusqu'à présent été de très bonne facture. Les débats, retransmis en direct par de nombreuses chaînes de télévision, ont été courtois et menés avec intelligence.

Pourtant, conclut-il, "même si la décision est de grande qualité, il y aura des déçus" dans ce pays traversé par de profondes divisions ethniques, géographiques et économiques une nouvelle fois exacerbées par l'exercice électoral.

Avec AFP