Ces quatre athlètes racontent la même histoire. Ils rêvaient de gagner en restant propres mais le mauvais exemple des stars tombées pour dopage, la conviction que tout le monde est dopé et la nécessité de nourrir leur famille les ont fait franchir le pas.
"Parce que ma famille est pauvre, il fallait que je me dope pour gagner ma vie", affirme Alex (les noms ont été changés, NDLR). "Parce que vous ne pouvez pas rivaliser avec des gens qui se dopent déjà et espérer gagner raisonnablement votre vie."
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Il a commencé à prendre de l'érythropoïétine (EPO) en 2017. Alex dit n'avoir jamais été testé. Il prend l'EPO deux mois avant la compétition et ne cherche pas à finir dans le trio de tête mais seulement dans les places payées, évitant ainsi les contrôles.
Il ne craint pas d'être pris. "Dans la vie, il faut prendre des risques pour gagner quelque chose de raisonnable", argue-t-il. Il ne s'inquiète pas plus des contrôles hors-compétition. Comme ses trois collègues, il ne fait pas partie des meilleurs athlètes du pays, les seuls régulièrement contrôlés par l'Agence nationale antidopage (Adak).
Lire aussi : Un marathonien kényan suspendu quatre ansAlex, qui a acheté des terres avec ses gains, a la conscience tranquille. "Le sport aujourd'hui n'est pas propre", assène-t-il. "Oui, c'est un délit de se doper. Mais à cause des problèmes que vous avez, vous vous dites que vous n'avez même pas à vous excuser pour ça."
Tony a commencé à se doper à l'EPO quand il avait 22 ans. Il choisit les courses sans tests antidopage - qui coûtent cher aux organisateurs - ou ne court pas à son maximum quand il y en a. Malgré tout, il dit avoir déjà été testé et avoir toujours été négatif, car il veille à prendre l'EPO bien en amont de la course.
Lui considère que la grande majorité des athlètes sont dopés. "Je triche parce que d'autres ont triché", lâche-t-il. Comme pour les autres, c'est un ami qui l'a introduit aux méthodes du dopage.
Lire aussi : Les Kényans fustigent la réforme de la Ligue de diamantIl dénonce le mauvais exemple donné par les stars dopées. "Nous en avons rencontrées sortant de chez le docteur", affirme-t-il. "Et deux jours après, vous voyez cette personne à la télé. C'est une grande star et vous savez que cette personne a triché. Alors, en tant que jeune athlète, pourquoi je ne pourrais pas le faire ?"
"Oui, je regrette, parce que je voulais courir propre", reprend-il. "Mais ces personnes nous ont influencés et nous n'avons pas le choix."
- 'Combattre la corruption' -
Tony connaît les effets secondaires de l'EPO. "Ca m'inquiète, parce que je sais qu'il y a des risques pour ma santé et que je peux mourir à tout moment", confie-t-il. "Mais je prends le risque car je dois prendre soin de moi, et de mes frères et soeurs".
Lire aussi : Le Kényan Asbel Kiprop reconnaît un contrôle positif à l'EPO mais nie tout dopageDans son groupe d'entraînement d'une quinzaine de coureurs, quatre au moins se dopent. "Si les gens arrêtent de tricher, j'arrêterai", dit-il.
Tous reconnaissent qu'il est devenu plus difficile de se procurer l'EPO. "Pour moi, c'est (facile) maintenant car le docteur est devenu mon ami", explique Lucas, dopé depuis 2013, tout en reconnaissant que le médecin est plus prudent qu'avant.
Donald dit s'être dopé une fois en 2014, sur une course qui lui a rapporté 40.000 dollars. Par crainte d'être pris, il a ensuite arrêté. Mais il est aujourd'hui déterminé à recommencer, influencé par les résultats obtenus par des amis dopés.
Lire aussi : La Kényane Jemima Sumgong suspendue quatre ans pour dopage"Depuis que j'ai arrêté, ma vie a été difficile", justifie-t-il. "C'est pour ça que j'ai décidé de prendre un raccourci."
Tous sont aussi convaincus que la lutte contre le dopage au Kenya souffre de la corruption des autorités. Il est, disent-ils, facile de soudoyer un officiel.
"Au Kenya, la plupart des gens sont corrompus", constate Tony. "Pour vous débarrasser du dopage ou des tricheurs dans l'athlétisme, il faut d'abord combattre la corruption."