Des groupes armés de retour au gouvernement en Centrafrique

Le Premier ministre Simplice Mathieu Sarandji à Bangui, Centrafrique, avril 2016. (VOA/ Freeman Sipila)

Le remaniement ministériel annoncé par le président Faustin-Archange Touadéra surprend avec l'entrée au gouvernement de proches de milices, au nom de la "réconciliation nationale", alors que ces groupes sont encore actifs.

La Centrafrique est majoritairement sous la coupe de groupes armés, jusque-là absents du gouvernement du président Touadéra, élu en 2016 sous l'égide de la France et des Nations unies.

Plusieurs fois, Faustin-Archange Touadéra a martelé que la justice sera "implacable" envers les responsables d'exactions.

Mais parmi les 34 ministres qu'il a nommés dans le deuxième gouvernement de son quinquennat (contre 23 auparavant), plusieurs sont des représentants de ces mêmes groupes armés, qui se battent pour le contrôle des ressources naturelles. Selon un décompte de l'ONG Acled, leurs violences ont fait, à la date du 5 août, 1.145 morts depuis début 2017, souvent des civils.

Le gouvernement centrafricain met en avant sa volonté de réconciliation. "Pour moi ce sont des Centrafricains", désamorce le chef reconduit du nouveau gouvernement, Mathieu Simplice Sarandji, interrogé par l'AFP.

Parmi ces ministres, figurent des représentants de milices ex-Séléka, comme Lambert Mokove Lissane, ex-porte parole du FPRC (Eaux et Forêts), ainsi que le chef de file du RPRC et neveu de l'ancien président Michel Djotodia, Gontran Djono Ahaba (Energie).

Le président Touadéra n'a pas oublié les anti-Balaka, présents au gouvernement avec Jean-Alexandre Dedet, proche de la tendance Mokom, nommé au Secrétariat du gouvernement, et Jacob Mokpem Bionli, promu ministre de la Culture et du Tourisme.

"C'est une main tendue du pouvoir aux groupes armés, et particulièrement au FPRC", explique un membre éminent du nouveau gouvernement, sous couvert d'anonymat.

"Le pouvoir, selon la même source, a fait valoir le DDR (ndlr: Désarmement, Démobilisation, Réinsertion) comme la seule et unique issue possible au conflit, mais ca n'a jamais donné grand chose".

-"Equilibre géopolitique"-

Pour justifier l'inclusion de groupes armés au gouvernement, le Premier ministre déclare avoir "tenu compte de l'équilibre géopolitique" en Centrafrique, où le gouvernement central peine à établir son autorité au delà des portes de Bangui, malgré une présence de 12.500 Casques bleus. Les groupes armés "sont des compatriotes" qui représentent "une région", a argumenté M. Sarandji.

Ces nominations "envoient un message dangereux: les stratégies violentes sont récompensées, ce qui risque d'alimenter de nouvelles vagues meurtrières", estime Nathalia Dukhan, spécialiste de la Centrafrique au sein du think-thank Enough Project.

"Le fait qu'ils représentent des groupes armés ne veut plus dire grand chose", tempère la chercheuse indépendante Enricca Picco, qui souligne l'opportunisme des "hommes politiques centrafricains", parmi "les plus caméléons au monde".

La Centrafrique a basculé dans le chaos en 2013 avec le renversement de l'ancien président François Bozizé par les ex-Sélékas prétendant défendre la minorité musulmane, et qui ont porté Michel Djotodia à la présidence.

Ce coup de force a entraîné une contre-offensive des anti-Balakas majoritairement chrétiens.

A la démission de Djotodia pour laisser place en 2014 à un gouvernement de transition, plusieurs chefs de file de l'ex-Séléka ont rejoint des groupes armés, comme Nourredine Adam et Abdoulaye Hissène, autrefois ministres et aujourd'hui respectivement leader du FPRC et coordinateur militaire du même groupe armé à Bria (est).

Ce nouveau gouvernement fait donc une place à des "éléments en provenance de l'ancien pouvoir" pro-musulman de Djotodia, résume Thierry Vircoulon, chercheur à l'Institut français des relations internationales (IFRI).

Ce remaniement intervient alors qu'une Cour Pénale Spéciale (CPS) doit bientôt commencer à instruire les nombreux crimes contre l'humanité et les crimes de guerre commis en Centrafrique depuis 2003 (un procureur a été nommé en juin).

Dans ce contexte, la Fédération internationale des Droits de l'Homme (FIDH) a déclaré que "le dialogue politique nécessaire à la sortie de la crise ne doit en aucun cas empêcher la bonne marche de la justice et la lutte contre l'impunité à laquelle s'est engagé le président Touadera".

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Marta Riggio de la FIDH, jointe par Nathalie Barge

Avec AFP