En Centrafrique, être cycliste malgré "tout le reste"

La cycliste centrafricaine Fatoumata, à droite, lors d'une séance d'entraînement hebdomadaire avec l'équipe cycliste de Bangui, à Bangui, le 26 octobre 2017.

Aux aurores dans la poussière des rues de Bangui, la capitale centrafricaine, au milieu des pots d'échappement et des blindés blancs estampillés "UN", un vélo fonce... Puis deux, puis trois. A Bangui, la fédération de cyclisme sur route essaie de relancer ce sport après les années noires de la crise politico-militaire.

"Si on avait des vélos, on pourrait former des jeunes. Mais la Séléka (ex-coalition rebelle) a volé tous nos vélos en 2013 lors des +événements+, on n'a plus de matériel": l'air penaud, Christ-Noël Yarafa, patron du cyclisme centrafricain depuis douze ans, décrit avec une touche de dépit la fédération qu'il préside.

"Il n'y a plus aucune équipe en Centrafrique. Avant, il y en avait plus de 10, c'est elles qui soutenaient les athlètes, qui achetaient le matériel. Maintenant, plus rien", dit-il en regardant droit devant lui, une main sur l'embrayage, l'autre qui ne cesse de klaxonner quand il n'évite pas les voitures.

Ce jeudi-là, ils sont une vingtaine à avoir enfourché leur vélo pour rouler 60 km dans les rues de Bangui suivis par leur coach en voiture, sur les quelque 60 cyclistes sportifs que compte la capitale.

Soudain, M. Yarafa peste: il a perdu de vue ses coureurs. "C'est à cause des embouteillages! Avant, on avait des voitures et des motos avec des gyrophares. Maintenant, je dois payer un moto-taxi pour qu'il ouvre la marche, ce n'est pas normal."

Pour autant, le ballet de cyclistes ne semble pas y prêter attention: regard pointé en avant, vélo fuselé en main, vêtus de vieilles combinaisons dépareillées et de récupération, les coureurs avancent.

- L'abandon, faute de moyens -

8H00, l'entrainement est fini. Les cyclistes, souvent très jeunes, discutent un moment avant de partir pour une journée de travail, d'études... ou de chômage.

"Je veux devenir pro", sourit Hervé Zabo, 26 ans, qui vit de petits boulots.

"Je veux gagner des compétitions internationales", renchérit Fatimatou Maidida, 19 ans, étudiante.

Tous deux ont participé à des courses à l'étranger, seule manière pour un cycliste centrafricain d'exposer son talent.

"J'ai été faire une course au Maroc, en 2015. C'était génial!", raconte la jeune femme, avec un large sourire sous le casque et les lunettes de soleil. "Mais j'étais la seule à ne pas avoir un bon vélo. Il s'est bloqué à quelques kilomètres de l'arrivée, j'ai dû abandonner."

Faute de moyens, aucun encadreur ni technicien n'avait fait le voyage avec Fatimatou, qui est l'une des deux femmes à rouler ce jour-là, sur la petite dizaine de cyclistes femmes en Centrafrique.

A côté d'elle, sur le bas-côté de la route, Gustave est dépité. Il n'a pas pu finir l'entrainement du jour, sa chaine s'est bloquée. "Quand je la mets sur le grand braquet, elle tombe, j'ai un problème de roulement... De toute façon, ce vélo n'est pas à ma taille, je n'ai pas de compteur dessus...", râle-t-il.

"Un problème d'argent", répond le président de la fédération, contraint de gérer en permanence la pénurie de vélos. L'Etat devait lui donner pour "environ 600.000 francs" (environ 900 euros) de subventions, explique M. Yarafa, mais en 12 ans à la tête de la fédération, il n'a jamais vu la couleur de l'argent. "Ils me répondent que les caisses sont vides."

- 'Le respect du sportif !' -

De fait, le cyclisme n'est pas une priorité budgétaire de l'Etat centrafricain, sous perfusion internationale et qui tente tant bien que mal, face à une multitude de groupes armés, d'asseoir son autorité dans le pays.

Alors que la moitié de la population survit grâce à l'aide humanitaire, le cyclisme subsiste à Bangui grâce au soutien généreux d'un expatrié passionné -et soucieux de garder l'anonymat-, qui rapporte régulièrement de Paris vélos et maillots.

Aussi, malgré les "soucis", la soixantaine de cyclistes banguissois se retrouve-t-elle tous les dimanches, pour rouler en oubliant le quotidien compliqué.

Les nombreux trous dans les routes peu bitumées de la capitale? "Il y a des quartiers où ça va, on s'en sort", relève Fatimatou Maidida.

L'insécurité? "On n'agresse jamais un sportif en Centrafrique!", répond, furieux de la question, M. Yarafa, qui a participé aux JO de Barcelone en 1992. "Quand un sportif sort, on le respecte!"

Des rêves de médailles pleins la tête, les cyclistes centrafricains profitent des deux seules routes en partie bitumées qui partent de Bangui pour s'entrainer sur une centaine de kilomètres.

L'une va plein ouest, vers le Cameroun, l'autre vers le nord, et toutes deux gardent la triste mémoire des événements de 2013 qui avaient, après le renversement du président François Bozizé par l'ex-coalition pro-musulmane de la Séléka et la contre-offensive des anti-Balaka, abouti à des massacres de masse dans les faubourgs de Bangui.

"Les +problèmes+ de la Centrafrique bloquent tout", estime M. Yarafa. "Mais nous, on veut continuer à organiser des courses, et oublier tout le reste!"

Avec AFP