Cet Érythréen de 21 ans a regagné cette ville du nord de la France "il y a cinq mois", après un passage en Centre d'accueil consécutif au démantèlement, fin octobre, de la "Jungle", le bidonville de Calais où s'étaient installés 6.000 à 8.000 migrants.
"Je n'ai plus rien pour payer les services de quelqu'un pour passer, j'ai épuisé mes économies", dit-il. Sa priorité: "l'Angleterre à tout prix".
Le Royaume-Uni reste la destination rêvée de milliers de réfugiés: ils espèrent y trouver un travail plus facilement, retrouver des proches et maîtrisent souvent déjà l'anglais.
Pour réaliser ce rêve, Abdoul et les autres migrants essentiellement d'Afrique de l'Est, doivent rester constamment mobiles. Car "les policiers ne veulent pas qu'on établisse un campement, ils nous traquent tout le temps", se désole-t-il.
Ce soir de juillet, ils ont trouvé un pont pour abri, en centre-ville. Une pluie interminable accompagnée d'un vent froid s'abat sur la cité portuaire. Abdoul, tête sur les genoux à cause du froid, ne prête pas attention à la discussion sur le football de ses compagnons d'infortune. "L'essentiel c'est d'abord de parvenir à traverser", lâche-t-il timidement.
"Mais on est pour le moins découragés. Un jour, les médias parleront de moi comme meilleur joueur d'une saison en Angleterre", le coupe avec sourire son compatriote Sahfi.
La conversation est interrompue par une visite de l'Association Utopia 56, très active dans l'aide aux migrants. Un camion s'arrête sur un espace libre, les migrants s'attroupent. "Ils connaissent notre véhicule", sourit un bénévole, échangeant avec eux un "check", une salutation amicale.
'Thé bien chaud'
"On a entre cinq et six distributions la nuit auprès des différentes communautés des migrants : nourriture, vêtements, produits d'hygiène", explique Gaël Manzi, coordinateur local de l'association. Pour ces migrants, les associations sont l'"unique espoir de survie", en attendant une hypothétique traversée.
Ce soir-là, les migrants réclament plus de thé. "C'est bien chaud et ça m'aide à oublier quelque peu le froid, d'autant qu'on ne peut pas faire de feu pour se réchauffer", raconte Inaa, 20 ans depuis deux jours.
Le jeune Éthiopien a une attelle au pied droit et tient presque debout grâce à deux béquilles. "Policemen", dit-il simplement... La police débarque "fréquemment" là où ils s'installent, poursuit-il, empêchant parfois des distributions de nourriture. "Les policiers gazent leur couverture, leur nourriture, ils n'ont pas d'accès à des sanitaires", déplore Gaël Manzi, qualifiant de "très grave" leur situation.
Inaa était arrivé sur les côtes italiennes avec sa grande soeur Sahfiya et son oncle paternel Ahmed.
Selon lui, Ahmed a pu passer en Angleterre grâce à un "ami". Il avait promis de le faire venir. Le jeune homme attend toujours. Sa "grande motivation", c'est sa soeur passée elle aussi, qui a obtenu "récemment" le statut de réfugiée "à Manchester". Il montre fièrement une photo de la jeune fille, également fanatique du ballon rond d'après lui, devant Old Trafford, mythique stade de football de la ville, comme fond d'écran de son téléphone portable.
Chaque soir, le groupe se rend sur des parkings dans la zone industrielle de la ville, cherchant l'occasion de monter dans un camion partant pour l'Angleterre. "C'est une question de chance", dit Inaa. "Si ça ne marche pas, tu réessayes, jusqu'à ce que ça marche".
Une semaine plus tard, le jeune homme et quatre autres migrants, ne font plus partie du groupe. "Ils sont partis hier", annonce Abdoul. Il n'apas de nouvelles d'eux mais "espère qu'il sont arrivés au bout de la lutte".
Avec AFP