A deux mois du scrutin à l'issue duquel le président russe devrait obtenir sauf coup de théâtre un quatrième mandat, le juriste de 41 ans, qui s'est fait un nom en dénonçant la corruption des élites russes, a reçu l'AFP dans son siège de campagne, dans un immeuble de bureaux au sud de Moscou.
"Ces élections ne sont pas des élections et mon rôle va maintenant consister à expliquer que cette procédure, qu'ils qualifient d'élections, consiste de fait à renommer Poutine", a-il assuré, assis en jeans et veste dans son bureau, qui jouxte un petit studio où il enregistre les vidéos pour son blog.
"Nous allons prouver et convaincre les gens qu'il n'est possible de reconnaître ni ces élections, ni ce pouvoir".
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La Commission électorale a rejeté fin décembre la candidature d'Alexeï Navalny, invoquant une condamnation pour détournement de fonds qui vise selon lui à l'éloigner de la politique.
L'opposant a appelé ses partisans à boycotter le scrutin et à manifester dans toute la Russie le 28 janvier.
"Poutine veut être empereur à vie. Son entourage, composé de milliardaires et de gens parmi les plus riches au monde, veut la même chose", a-t-il affirmé.
"Il n'y a actuellement pas de vraies élections et nous exigeons qu'on nous les rende. Une fois que ce sera fait, nous sommes prêts à gagner ces élections", a-t-il assuré. Le pouvoir "le comprend et c'est pour cela qu'on m'a empêché d'être candidat".
Opposant aux accents volontiers nationalistes au début de sa vie publique, désormais surtout soutenu par les libéraux, Alexeï Navalny a organisé en mars et en juin deux manifestations d'ampleur dans plusieurs villes du pays, qui ont débouché sur des milliers d'arrestations.
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Ignoré des médias nationaux, il est très présent sur les réseaux sociaux où ses enquêtes sur la corruption des élites sont abondamment partagées, notamment celle sur le Premier ministre Dmitri Medvedev, vue 25 millions de fois sur YouTube.
Poutine 'a peur de moi'
Alexeï Navalny a mené campagne pendant des mois dans toute la Russie, organisant des meetings et ouvrant de nombreux bureaux en province malgré les entraves des autorités, ce qui lui a permis de gagner une fidèle base de soutiens, souvent très jeunes.
Ses actions lui ont valu trois séjours en prison en 2017.
Vladimir Poutine "a peur de moi, peur des gens que je représente", a-t-il martelé, affirmant avoir "créé le plus important mouvement politique de masse de l'histoire récente de la Russie avec plus de 200.000 volontaires".
"Nous n'allons pas voter, nous cherchons à convaincre qu'il ne faut pas voter et nous observerons le scrutin pour empêcher le pouvoir de falsifier le taux de participation" surtout dans des régions réputés propices à la fraude comme le Caucase, a-t-il réputé.
La participation constitue le principal enjeu de la présidentielle du 18 mars tant Vladimir Poutine, fort d'une popularité exceptionnelle, semble assuré de remporter un quatrième mandat qui le maintiendrait au pouvoir jusqu'en 2024, un quart de siècle après avoir été désigné comme successeur de Boris Eltsine.
'A qui j'ai affaire'
Considéré par de nombreux Russes comme l'artisan d'un retour à la stabilité après le chaos des années 1990, le président russe de 65 ans est crédité de plus de 80% des intentions de vote dans la dernière enquête de l'institut VTSIOM, proche du pouvoir.
Il devance très largement le candidat communiste Pavel Groudinine (moins de 8%), contre moins de 1% pour les autres candidats, les libéraux Ksénia Sobtchak et Grigori Iavlinski.
Le seul institut de sondages indépendant, le centre Levada, n'est pas autorisé à réaliser des enquêtes d'opinion pendant la campagne après avoir été classé par les autorités comme "agent de l'étranger".
Pour Alexeï Navalny, la popularité de Vladimir Poutine "existe seulement dans un contexte où (le pouvoir) ne laisse pas certains candidats se présenter et n'autorise que ceux qu'il a choisis".
Il accuse le président russe d'avoir "transformé la Russie en Etat autoritaire", d'avoir "fait de la corruption la base de son pouvoir, et d'"utiliser les sujets de politique étrangère" comme l'Ukraine et la Syrie pour occulter les difficultés économiques du pays, où le niveau de vie reste très faible.
L'opposant assure que sa "lutte politique ne se limite pas aux élections" même s'il reconnaît "des craintes" pour sa sécurité et celle se sa famille: "Je comprends bien à qui j'ai affaire et je sais de quels crimes est capable le Kremlin, le groupe de corrompus à son service et les légions de tueurs dont ils disposent par exemple en Tchétchénie, (...) qui peuvent commettre un meurtre à 200 mètres du Kremlin comme cela a été le cas pour Boris Nemtsov", opposant tué en février 2015.
Avec AFP