Une "guerre contre la corruption" qui laisse sceptique au Kenya

Palestinian protesters and Israeli security forces clash following a demonstration against settlements in the village of Beita in the occupied West Bank.

Une quinzaine de hauts responsables alignés devant le procureur pour avoir gaspillé de l'argent public: la direction de l'électricien Kenya Power est la dernière "victime" en date de la récente guerre kényane contre la corruption.

Procès et mises à pied se multiplient ces derniers mois au Kenya, un pays à l'économie dynamique mais miné par une culture de pots-de-vin et de malversations que le président Uhuru Kenyatta a promis d'éradiquer.

"Nous allons récupérer tout l'argent volé. Il n'y aura aucune pitié pour les voleurs. Leurs jours sont comptés. Ils seront poursuivis et emprisonnés", a déclaré fin mai le président, réélu en octobre pour un second mandat.

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En 2017, le Kenya était à la 143e place, sur 180, dans le rapport annuel de l'ONG Transparency International sur la corruption.

L'enquête visant Kenya Power porte sur l'achat, pour 4 millions de dollars (3,4 MEUR), de transformateurs électriques qui se sont révélés défectueux et inutilisables.

Son directeur général Ken Tarus, suspendu depuis, fait partie des hauts responsables inculpés le 16 juillet pour des faits d'abus de pouvoir et de crime économique. Les modalités de leur procès seront connues le 6 août.

400 millions introuvables

Ce nouveau scandale intervient quelques semaines après l'annonce, par le procureur en chef du Kenya, de poursuites à l'encontre de 54 personnes soupçonnées d'avoir détourné plus de 68 millions d'euros des caisses du Service national de la jeunesse (NYS).

Parmi les transactions suspectes aux yeux des enquêteurs: quelque 8,5 millions d'euros dépensés en un an pour acheter de la viande de boeuf, l'équivalent de 66 kilos de boeuf par jour pour chaque recrue; ou encore l'achat d'un pneu de voiture pour 850.000 euros.

Des exemples qui viennent illustrer la pratique des "air contracts", pour lesquels des fournisseurs véreux touchent de l'argent public sans jamais livrer le matériel promis, mais distribuent au passage des pots-de-vin juteux.

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Publié en mars, un rapport de l'auditeur général portant sur l'année financière 2015-2016 a dressé la liste de beaucoup de ces transactions suspectes et révélé que le gouvernement n'était pas en mesure d'expliquer où étaient passés quelque 400 millions de dollars d'argent public.

Les présidents kényans promettent depuis des décennies de s'attaquer à la corruption - Uhuru Kenyatta n'a pas fait exception lors de la campagne de 2017 -, mais les citoyens apparaissent résignés.

"Les gens sont très sceptiques, il ne croient pas encore que le gouvernement est sérieux car ils n'ont jamais vu de réel effort de lutte contre la corruption", note le militant anti-corruption John Githongo, qui avait en 2016 qualifié le gouvernement de "plus corrompu de l'Histoire" du Kenya.

Parallèlement aux procédures judiciaires, les autorités ont suspendu en juin pour contrôle tous les fonctionnaires responsables de passation de marchés publics, promettant d'utiliser dans ce cadre des détecteurs de mensonges.

Le président a par ailleurs annoncé que tous les agents de la fonction publique, y compris lui-même et son vice-président William Ruto, allaient devoir se soumettre à un audit sur leur train de vie.

"Il est vrai que beaucoup de choses se sont passées ces dernières semaines, des gens ont été arrêtés, mis en prison, jugés", admet M. Githongo, estimant que "d'ici deux mois" il sera possible d'évaluer le "sérieux" de cette guerre contre la corruption.

"Gaz lacrymogènes"

Le 20 juillet, le président de la Cour Suprême, David Maraga, a annoncé que tous les nouveaux dossiers judiciaires liés à la corruption seraient traités par la Cour spéciale chargée des crimes économiques, installée à Nairobi.

Une décision qualifiée de "décisive" par le quotidien Daily Nation, le premier du pays, pour qui les procédures devraient ainsi être plus rapides.

"Jusqu'ici le public est frustré de voir que les dossiers de corruption n'arrivent jamais à leur terme et que les coupables ne sont pas punis", note le journal.

Quelques mois seulement après sa création fin 2014, le NYS avait ainsi fait l'objet en 2015 d'un premier scandale pour le détournement de 7 millions de dollars mais qui n'avait pas débouché sur des condamnations.

Une issue qui contribue à expliquer l'absence de réactions de la société civile kényane.

"Si nous descendons dans la rue, la police nous enverra tout de suite des gaz lacrymogènes, donc nous ne le faisons pas", résume une jeune habitante de la capitale sous couvert d'anonymat.

Et la jeune femme de relayer un sentiment largement partagé au Kenya: "Je pense que la corruption est bien réelle mais la lutte contre la corruption ne l'est pas".

Avec AFP