En Europe, la situation sociale et administrative des personnes migrantes est souvent disparate, certaines ayant fait des études, d'autres non. Ces exilés ont en revanche la particularité commune d'être jeunes, l'âge médian se situant à 29,2 ans en 2019 selon Eurostat, et en situation de grande précarité, l'absence de papiers focalisant leurs inquiétudes, rappelle Patricia Loncle, professeure en sociologie à l'École des hautes études en santé publique (EHESP) de Rennes (ouest de la France).
La chercheuse mène avec Alessia Lefébure, sociologue et directrice des études à l'EHESP, un projet de recherche sur la santé des jeunes migrants qu'elles ont présenté sur le site "The Conversation".
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Hors pandémie, la santé mentale des migrants est déjà particulièrement mise à l'épreuve : 38% d'entre eux souffrent de troubles psychiques (dépressions, idées suicidaires, etc.), selon le Centre Primo Levi. "Ils ont connu des expériences traumatisantes lors de leur parcours migratoire et sont sujets à des maladies psychiques et psychosomatiques", souligne Patricia Loncle.
Le syndrome d'Ulysse, un stress chronique provoqué par des épreuves anxiogènes sur une longue durée, fait partie des pathologies souvent évoquées.
"Les comportements peuvent être très graves, des crises d'angoisse ou des hallucinations qui résultent de la pression liée à l'incertitude", poursuit Patricia Loncle, qui souligne les difficultés de prise en charge, faute de place et de formation des professionnels.
Et depuis le début de la crise sanitaire, ce sentiment d'insécurité des migrants a encore augmenté. Au quotidien, la distribution alimentaire a parfois fait défaut et l'isolement a fortement augmenté.
Aide informelle à l'arrêt
"On a mis les gens à l'abri mais ils se sont retrouvés livrés à eux-mêmes. Beaucoup de petites associations ont dû suspendre leur action et les jeunes migrants, qui souffrent déjà d'isolement et de déracinement, se sont retrouvés encore plus seuls", explique Alessia Lefébure.
Tout ce qui relevait de l'aide informelle, tels que les ateliers, jeux ou goûters organisés par les associations d'aide aux migrants, s'est arrêté net.
"Il n'y avait plus de chaleur humaine autour d'eux dans la mesure où l'interaction humaine repose essentiellement sur les bénévoles, et leur santé mentale s'est encore dégradée", poursuit Alessia Lefébure.
En France, "l’État se préoccupe de leur situation administrative, mais ils n'existent plus que par leur qualité de migrants et pas comme personnes vulnérables et en grande pauvreté", ajoute la sociologue.
En février, l'Académie nationale de médecine française avait jugé la situation sanitaire des migrants "préoccupante", citant des troubles mentaux "six fois plus fréquents que dans la population générale". Elle mettait notamment en cause la précarité des conditions d'hébergement, d'hygiène, ainsi qu'un retard dans l'accès aux droits.
Parmi les situations les plus critiques, les deux chercheuses citent notamment les Centres de rétention administrative (CRA), dont certains ont été maintenus ouverts pendant les périodes de confinement malgré l'impossibilité de renvoyer dans leur pays d'origine les personnes placées en rétention.
"L’État considère que ces centres sont un sas avant un départ vers l'étranger. Résultat: on ne s'occupe plus de la souffrance des retenus. L'an dernier, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a dénoncé avec virulence la difficulté d'accès aux soins dans les CRA, notamment psychiatriques", souligne Alessia Lefébure. Elle rappelle que les placements en CRA de personnes atteintes de pathologies mentales augmentent, tout comme les actes de détresse.