A l'heure où la première réunion publique du Conseil de sécurité de l'ONU dédiée au Tigré est attendue vendredi, la communauté internationale s'inquiète de la suite du conflit, notamment de la situation humanitaire dramatique.
Dès lundi, Addis Abeba a annoncé un "cessez-le-feu unilatéral" mais les rebelles ont continué leur progression, prenant une vaste majorité de cette région de l'extrême nord qui était aux mains de l'armée fédérale depuis sept mois.
Dans les premières semaines de l'opération militaire déclenchée le 4 novembre par le Premier ministre Abiy Ahmed pour chasser les autorités régionales dissidentes, issues du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF), l'armée fédérale n'avait rencontré que peu de résistance.
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Dès le 28 novembre, après d'autres villes clés, Mekele tombait et M. Abiy déclarait la victoire au Tigré.
Mais les forces fédérales ne sont jamais parvenues à remplir un de leurs principaux objectifs : arrêter et désarmer les leaders du TPLF, dont l'ancien homme fort de la région, Debretsion Gebremichael.
Parallèlement, les forces pro-TPLF, nommées Forces de défense du Tigré (TDF), se sont organisées, s'appuyant sur le soutien de la population pour préparer la contre-offensive.
Nommée Opération Alula - du nom d'un célèbre général tigréen du 19e siècle -, elle a été lancée le 18 juin, trois jours avant les élections nationales très attendues qui se tenaient dans une grande partie de l'Ethiopie.
Mardi, M. Abiy lui-même a reconnu l'effet de surprise.
"Alors que l'armée passait dans un village sans remarquer aucun mouvement de l'ennemi, beaucoup de gens sont soudainement apparus et ont attaqué et massacré l'armée à l'aide de Kalashnikovs ou même de machettes", a indiqué le Premier ministre.
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Parole contre parole
Sans surprise, les TDF ont capitalisé sur leur impressionnante progression pour se féliciter de leur supériorité, selon eux, sur le champ de bataille.
A l'inverse, Addis Abeba a cherché à minimiser l'importance du retrait de l'armée. M. Abiy a ainsi déclaré que Mekele n'avait plus "le même intérêt" qu'en novembre.
Redwan Hussein, le porte-parole de la cellule de crise gouvernementale pour le Tigré, a affirmé que les rebelles n'étaient "plus une menace existentielle pour le bien-être de la nation", ajoutant que l'Ethiopie avait d'autres défis sécuritaires sur lesquels se concentrer.
Autant de déclarations qui, selon William Davison, analyste senior au centre de réflexion International Crisis Group (ICG), s'apparentent à des "justifications pour sauver la face".
"La guerre a indubitablement été un poids pour le gouvernement. Oui, il y a d'autres choses sur lesquelles ils voudraient se concentrer. Mais je pense que ce retrait découle d'une position de faiblesse", décrypte-t-il.
Dans le même sens, ajoute-t-il, les TDF ont vraisemblablement "exagéré" les pertes infligées à l'armée fédérale.
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Prochains points chauds
Pendant ces huit mois de conflit, la région Amhara, située au sud du Tigré, ainsi que l'Erythrée, pays voisin bordant sa limite nord, ont envoyé sur place leurs propres soldats pour épauler l'armée éthiopienne.
Les troupes de l'Erythrée - qui n'a pas encore réagi à l'annonce de cessez-le-feu - ont été accusées de certains des pires massacres de la guerre, conduisant les Etats-Unis et l'Union européenne à appeler de manière répétée à leur départ.
Cette semaine, M. Redwan a affirmé que ce retrait avait commencé, ce qu'a confirmé jeudi le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l'ONU (Ocha), affirmant que les Erythréens se sont largement "retirés du Tigré", se déplaçant vers leur frontière.
Dans le même temps, Getachew Reda, un des porte-paroles des TDF, qualifiant le cessez-le-feu de "blague", est allé jusqu'à menacer de "marcher" sur Addis Abeba et Asmara pour défendre le Tigré.
Mais, selon M. Davison, la priorité immédiate des TDF semble plutôt se situer sur les zones de l'ouest et du sud de la région, annexées au début du conflit par les forces de l'Amhara.
"Il semble très peu vraisemblable que les Forces de défense du Tigré acceptent un cessez-le-feu à l'échelle régionale tant que cette présence (amhara) continue", observe M. Davison.
Aide et famine
A mesure que le conflit se prolonge, la situation humanitaire inquiète de plus en plus la communauté internationale.
Les Etats-Unis estiment que 900.000 personnes sont "vraisemblablement déjà en train de faire face à des conditions de famine".
Jeudi, l'ONU et plusieurs ONG ont confirmé la destruction d'un pont situé sur un axe crucial pour la livraison de l'aide alimentaire, ce qui accroît les craintes d'un possible "blocus".
Selon l'ONU, le pont a "d'après certaines informations" été détruit par les forces amhara, bien que le gouvernement en ait porté vendredi la faute sur les forces tigréennes.
Le gouvernement de M. Abiy s'est engagé à de nombreuses reprises à faciliter l'accès humanitaire et à fournir lui-même de l'aide. Il a affirmé lundi que le cessez-le-feu était motivé par des raisons humanitaires.
Mais, alors que l'électricité et les télécommunications sont coupées, que les vols sont suspendus et que la plupart des routes sont bloquées, des responsables onusiens et des diplomates craignent que la situation se détériore encore.
"Un cessez-le-feu cela ne signifie pas couper l'électricité dans une région ou détruire les infrastructures critiques", a déclaré vendredi sur Twitter Josep Borrell le chef de la diplomatie européenne.
"Un cessez-le-feu crédible signifie faire tout son possible pour que l'aide atteigne les millions d'enfants, de femmes et d'hommes qui en ont urgemment besoin", a-t-il ajouté.