Son épouse est assise sur une natte, les jambes allongées et le regard perdu. Un crucifix pend à son cou. La mère du défunt est à ses côtés et accueille les prières de ses hôtes, les yeux rougis par les pleurs.
Les femmes sont beaucoup trop affectées et ne peuvent parler. Selon son frère, Alexandre Gbédji, personne dans la famille ne réalise encore ce qui s'est passé. "Personne ne s'en revient", confie-t-il à l'AFP. "C'est un cauchemar pour toute la famille".
Le 1er mai, alors qu'il accompagnait Patrick Picque et Laurent Lassimouillas en safari dans le parc national et touristique de la Pendjari, Fiacre Gbédji a été sauvagement tué par des djihadistes, qui se sont ensuite enfuis vers le Burkina Faso voisin, avec les deux touristes français.
Lire aussi : Deux soldats français tués lors de la libération de quatre otages dans le nord du BurkinaLa dépouille du guide a été retrouvée trois jours plus tard, dans un état extrêmement détérioré par les vautours. "Nous avons encore plus mal parce qu'il n'a pas eu le droit à un sépulcre. Fiacre n'a même pas pu être enterré dignement", regrette son frère. "C'est triste".
Il faisait partie de la trentaine de guides accrédités pour conduire les touristes à travers ce parc de 4.700 km2, et était "l'un des meilleurs", précise le directeur de la Pendjari, James Terjanian, très touché lui aussi et ému par cette disparition. "On ne peut rien reprocher à son travail. C'est une perte énorme dans ce pays."
Il avait emmené les deux hommes le long de la rivière Pendjari, asséchée à cette période de l'année, "où il y a des mares et où les animaux viennent s'abreuver", relate l'un de ses collègues.
La rivière partage le Bénin, jusque-là épargné par tout risque terroriste et qui n'a jamais connu le moindre conflit dans son Histoire, et le Burkina Faso, pays lui aussi très fréquenté par les touristes européens, mais gangréné par les groupes djihadistes depuis quelques années.
"Une menace qui ne veut rien dire quand on ne la voit pas", poursuit l'un de ses collègues.
- Passion -
Fiacre Gbédji, d'une trentaine d'année, s'était tourné vers le tourisme dès la fin de ses études secondaires, "par passion", explique l'un de ses amis, qui ne souhaite pas décliner son identité. Il travaillait d'abord comme chauffeur, puis s'est spécialisé comme guide, dans la région de Natitingou et de la Pendjari, à plus de 650 kilomètres de la capitale économique, Cotonou.
"Son premier trait caractéristique c'est le don de soi pour les autres", poursuit son ami, qui le décrit comme quelqu'un de "très humble, très serviable, et très disponible".
Le quotidien La Libre Belgique lui a consacré un article, affirmant que "beaucoup de jeunes Belges et leurs professeurs le connaissaient” : à travers un projet baptisé Move With Africa, mis en place avec le journal, Fiacre Gbédji "faisait découvrir sa culture et son pays aux élèves venus dans une démarche d'éducation à la citoyenneté".
Il vivait dans une maison modeste de la petite classe moyenne, dans la grande ville de Nati, carrefour du nord du Bénin, pays réputé pour ses trésors touristiques.
- Hommages -
Père de six enfants, selon ses proches, il venait également en aide à un orphelinat avec le soutien de quelques amis touristes ou visiteurs de passage.
Twitter et Facebook ont multiplié les hommages cette dernière semaine et certains de ses anciens clients ont publié photos et videos sur lesquelles on peut voir l'homme poser à leurs côtés dans une grande complicité, ou faire la course avec eux dans le parc pour plaisanter. Une cagnotte a aussi été créée pour venir en aide à sa famille.
"Tout se passait toujours très bien et il ne récoltait que des mentions très bien", témoigne Adamou Akpana, président de l'Union des guides pour la destination Pendjari. "Ce n'est pas seulement sa famille et ses collègues qui pleurent, tous les touristes qui le connaissaient envoient des messages de compassion."
Patrick Pique et Laurent Lassimouillas avaient été mis en contact avec Fiacre Gbédji dans le dernier hôtel qu'ils avaient fréquenté.
"Je l'ai vu la dernière fois à la veille de son départ avec les deux touristes. Ils étaient à moto", relate M. Akpana. "On a échangé un peu comme à nos habitudes et ils sont partis après. Je n'ai pas vraiment échangé avec les deux touristes, on s'est juste salué."