"Il s'agit d'une décision personnelle - une décision familiale - et je suis convaincu que cette décision sert au mieux les intérêts de cette organisation", a expliqué Roberto Azevedo aux chefs de délégation à l'OMC lors d'une visioconférence.
"Je ne nourris aucun projet politique", a-t-il assuré alors que certains lui prêtent des ambitions présidentielles en 2022 face au chef de l'Etat brésilien sortant Jair Bolsonaro.
Ce départ prématuré du Brésilien intervient au moment où l'économie mondiale enregistre son plus violent coup de frein depuis la Grande Dépression des années 1930. Le commerce international est frappé de plein fouet par la pandémie de nouveau coronavirus qui a fait s'effondrer la production et les échanges.
Lire aussi : Le patron de l'OMC met en garde contre les dangers de la guerre commercialeL'OMC traverse quant à elle depuis des mois une crise profonde, le tribunal réglant les litiges commerciaux entre ses membres ne pouvant plus compter sur son organe d'appel, bête noire de Washington.
Cette démission "tombe à un bien mauvais moment pour l'institution", estime ainsi Sébastien Jean, directeur du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII).
"Le système commercial est profondément déstabilisé à la fois par les tensions préalables, notamment les critiques acerbes du président américain, les entorses multiples aux accords, la guerre commerciale US-Chine et la paralysie de l'organe d'appel, et par les mesures commerciales prises en réaction à la crise, notamment les restrictions aux exportations diverses et variées", explique-t-il à l'AFP.
- Un fin négociateur -
Diplomate de carrière, Roberto Azevedo, qui avait pris la tête du gendarme du commerce mondial en 2013 en succédant au Français Pascal Lamy, a commencé son second mandat de quatre ans en septembre 2017. Son mandat devait en principe s'achever fin août 2021.
Avant d'être le patron de l'OMC, il était depuis 2008 le représentant permanent du Brésil auprès de cette organisation où il s'était forgé une réputation de fin négociateur. Il avait ainsi été chef de délégation dans des litiges clés remportés par le Brésil à l'OMC: dans le cas des subventions pour le coton contre les États-Unis et des subventions à l'exportation de sucre contre l'Union Européenne.
Lors de sa première candidature, il avait d'ailleurs mis l'accent sur le fait que son élection débloquerait les négociations commerciales qui étaient au point mort depuis des années.
Fin 2013, les pays membres de l'OMC ont trouvé un accord historique à Bali sur la facilitation des échanges, puis ont élargi le champ de l'accord sur les technologies de l'information deux ans plus tard.
- Sous pression américaine -
Mais les pays peinent depuis à conclure de nouveaux accords, et n'arrivent même pas à trouver une entente pour interdire les subventions favorisant la surpêche. La conclusion d'un accord à ce sujet a échoué lors de la 11e ministérielle de l'OMC à Buenos Aires fin 2017, et la 12e ministérielle, qui devait se tenir du 8 au 11 juin à Nur-Sultan au Kazakhstan et sur laquelle l'OMC avait fondé tous ses espoirs, a dû être reportée en raison de la pandémie de Covid-19 et qui devrait se tenir vraisemblablement mi-2021.
Malgré ses tentatives de discussions, Roberto Azevedo n'a pas non plus réussi à empêcher les Etats-Unis de tordre le bras juridique de l'OMC. L'instance d'appel de l'organe de règlement des différends (ORD) de l'OMC, dont la nomination des juges est bloquée par Washington, n'est en effet plus opérationnelle depuis le 11 décembre, faute de magistrats suffisants.
Depuis l'arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, l'organisation internationale et son patron assistent par ailleurs, impuissants, aux hostilités commerciales entre les Etats-Unis, la Chine et l'Union européenne.
Les Etats-Unis pressent d'ailleurs l'OMC de réviser le statut de la Chine, qui selon Washington usurpe son statut de pays en développement pour en tirer un avantage économique.
Lire aussi : Un Nigérian pourrait bientôt devenir le premier Africain à diriger l'Organisation mondiale du commerceReste à savoir qui pourrait reprendre la tête de l'OMC. A Genève, les regards se tournent vers l'Afrique, selon plusieurs sources diplomatiques.
"Il y a un consensus (...) pour que la succession ne revienne pas à une grande puissance économique, et ça ne peut être ni un Chinois ni un Américain" compte tenu de la guerre commerciale que se livrent les deux puissances, indique une source diplomatique à l'AFP.
Roberto Azevedo a lui expliqué aux diplomates qu'avancer son départ leur permettrait de désigner son successeur rapidement, sans empiéter sur les préparatifs de la douzième conférence ministérielle.