Les chrétiens du Nord du Nigeria veulent "calmer les esprits indépendantistes"

Un partisan du leader du peuple indigène de Biafra (IPOB) Nnamdi Kanu tient un drapeau Biafra lors d'un rassemblement de soutient de Kanu à Abuja, Nigeria, 1er décembre 2015

Par esprit de vengeance et dans un contexte de montée du communautarisme, la haine anti-igbo regagne du terrain au Nigeria, cinquante ans après la terrible guerre civile du Biafra (sud-est) qui avait fait un million de morts, en grande majorité de l'ethnie igbo.

Dans le quartier de Sabon Gari, enclave chrétienne de l'immense ville musulmane de Kano au nord du Nigeria, la tension monte et les esprits s'inquiètent, après l'appel de groupes musulmans demandant aux Igbos chrétiens de quitter la région d'ici le 1er octobre.

"Je suis né à Kano. Mon père est venu s'installer ici il y a plus de 60 ans", raconte à l'AFP Okechukwu Ugo, vendeur igbo de matériel de construction originaire du sud-est du Nigeria. "Je n'ai nulle part ailleurs où aller. Le gouvernement devrait stopper les appels à la sécession dans le sud-est (...) et prêcher l'unité nationale."

En effet, le récent appel du groupe de l'Arewa, jeunes musulmans radicaux du Nord intervient sur fond de divisions ethniques et régionales. Il fait écho aux messages sécessionnistes et virulents de l'IPOB, le mouvement pour les peuples indigènes du Biafra, sous l'égide de son chef charismatique, Nnamdi Kanu.

Par esprit de vengeance et dans un contexte de montée du communautarisme, la haine anti-igbo regagne du terrain au Nigeria, cinquante ans après la terrible guerre civile du Biafra (sud-est) qui avait fait un million de morts, en grande majorité de l'ethnie igbo.

"Les jeunes du Nord ont dit qu'ils nous envoyaient cet ultimatum en réponse aux agitations dans le Biafra", explique Stanley Obiora, commerçant de 40 ans. "Mais nous, nous ne faisons pas partie de ce mouvement."

"Nos chefs coutumiers doivent calmer les esprits indépendantistes des jeunes", poursuit l'homme qui a vécu toute sa vie dans le quartier de Sabon Gari. "Nous avons tant investi dans le Nord. Nous ne pouvons pas laisser derrière nous ce que nous avons mis tant de temps à construire."

Le Nigeria est composé de près de 250 groupes ethniques, et, bien que chaque communauté appartienne à une région spécifique, beaucoup ont migré aux quatre coins du pays pour des raisons économiques.

- 'Condamner haut et fort' -

"Le Nord, (...) quasi-féodal et peu développé, se sent étranger par rapport au Sud urbanisé, commerçant et industriel, peuplé d'une population volontiers expansionniste", écrivait Dmitri-Georges Lavroff, ancien directeur du Centre d'étude d'Afrique noire de Bordeaux et spécialiste du Nigeria. "Les nordistes ont l'impression d'être +colonisés+ économiquement par les commerçants igbos venus du Sud."

"Ce n'est pas la première fois qu'on nous demande de partir", explique M. Obiora, "Mais cette fois, cela a eu beaucoup d'échos. Nous espérons que comme à chaque fois cela va s'apaiser."

Il y a cinquante ans, ce sont des progroms sanglants contre les Igbos, notamment dans le Nord, qui avaient entrainé l'annonce de la sécession du Biafra, puis la terrible guerre civile qui s'en est suivi.

Un scénario que veulent éviter à tout prix les autorités. Cette semaine, le vice-président a réuni les gouverneurs du pays, appelant les responsables locaux à calmer les tensions.

"Nous devons résister à la tentation de politiser ce problème sécuritaire", a asséné Yemi Osinbajo, chef d'Etat par interim alors que le président Muhammadu Buhari a quitté le pays depuis près de deux mois pour des raisons médicales.

"Les dirigeants doivent condamner haut et fort tous ces discours de haine et de division", a-t-il insisté.

Mallam Nasir Ahmad El-Rufai, gouverneur de Kaduna, Etat où les tensions sont les plus fortes, était toutefois aux abonnés absents. C'est pourtant de là qu'est parti l'ultimatum des jeunes de l'Arewa.

Pour le spécialiste en sécurité Don Ekereke, les hommes politiques "se détachent de plus en plus de leurs électeurs (...) pour se livrer à des batailles politiciennes", laissant la voie à des populistes radicaux tels que Nnamdi Kanu, ou encore aux leaders religieux.

"Maintenant que le président Buhari (musulman du Nord) est malade et ne dirige plus le pays, ses bastions du Nord sont agités et mécontents", poursuit le directeur du cabinet de conseil Holistic Security Background Checks Lmt.

"Je pense que cela (l'absence du président) contribue, d'une manière ou d'une autre, à attiser les tensions et cela explique pourquoi les jeunes de l'Arewa sont intouchables et peuvent jouer avec le feu."

Malgré les remontrances du chef de l'Etat par interim, Nnamdi Kanu continue à haranguer les foules dans le sud-est du pays. Au nord, aucun jeune de l'Arewa n'a été arrêté, ni même inquiété.

Avec AFP