Voisins tués, égorgés, maisons incendiées, bétail et champs pillés...: ce père de famille de 48 ans et tous les déplacés du Nord-Kivu, dans l'Est de la RDC, livrent le même récit des atrocités commises par les Allied Defense Forces (ADF), groupe ougandais musulman à l'origine de la pire attaque contre l'ONU en 24 ans.
Le calvaire de Jean-De-Dieu a commencé deux mois avant celui des 14 soldats tanzaniens. En octobre, lui et sa famille ont quitté Mamoundioma dans la région de Beni près de l'Ouganda quand ils ont entendu le crépitement des balles des ADF, des "islamistes" et des "terroristes" d'après les autorités.
Agriculteur et pasteur, Jean-De-Dieu a abandonné ses champs et ses ouailles pour se réfugier à Oicha, à 25 km de chez lui dans une "famille d'accueil".
Cette solidarité communautaire représente une alternative aux camps de réfugiés de RDC, pays qui compte en tout quatre millions de déplacés, dont 1,7 million supplémentaires rien qu'en 2017, d'après les estimations humanitaires. Pire que le Yemen, l'Irak et la Syrie.
En fait de famille d'accueil, Jean-De-Dieu s'est réfugié chez des amis, qui lui ont prêté une maison de trois pièces en face de la leur. Douze bouches de plus à nourrir, donc.
"Nous partons tous aux champs pour trouver à manger", dit la fille aînée de la famille d'accueil, Kahindo, 28 ans.
Au total plus de 15.000 personnes ont fui les ADF entre septembre et novembre, d'après un centre d'aide aux déplacés d'Oicha. Ces derniers mois, le groupe armé ougandais a multiplié les attaques (massacre d'une vingtaine de civils sur la route Mbau-Kamango, assaut en octobre contre les Casques bleus de la base de Mamoundioma tuant déjà trois soldats tanzaniens).
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Depuis 2014, des massacres attribués aux ADF ont fait des dizaines, voire des centaines de morts dans la région de Beni.
'Des efforts à faire'
A Oicha, les déplacés qui n'ont pas de "famille d'accueil" dorment dans des salles de classe où ils laissent la journée leur matelas et leurs casseroles.
"Ca perturbe les élèves", regrette une institutrice, Eugènie. Les "Kimbizi" (déplacés en swahili) se plaignent, eux, de ne plus pouvoir envoyer leurs enfants en cours, faute d'argent.
La situation est encore pire pour les quelques centaines de déplacés pygmées qui survivent dans un camp à la périphérie d'Oicha, en se nourrissant de feuilles de manioc ou de racines d'igname. Des enfants ont le ventre ballonné. "La malnutrition", affirme Defao Bassinga, un des déplacés pygmées.
L'assistance humanitaire va commencer la semaine prochaine à Oicha, assurent les Nations unies. Depuis novembre, le flot des déplacés a cessé car l'axe Mbau-Kamango est coupé pour des raisons de sécurité.
"La population est bloquée depuis un mois à Kamango", explique la radio communautaire Moto, qui vient d'annoncer la mort d'un motard sur cette route de tous les dangers, tué par des ADF.
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Dans cette zone inaccessible, la Mission des Nations unies au Congo (Monusco) et l'armée congolaise assurent qu'elles ont envoyé des renforts depuis la mort des 14 Tanzaniens dans l'attaque de la base de Semuliki dans la nuit du 7 au 8 décembre.
"Nous avons encore des efforts à faire. Le matériel va suivre", a assuré le général congolais Marcel Mbangu, commandant de la zone qui a lui-même survécu à une embuscade des ADF en novembre.
L'armée congolaise avait annoncé avoir tué 72 ADF après la mort des 14 Tanzaniens. Un bilan un peu rapide de l'aveu même du général: "Une enquête est en cours".
"Une opération conjointe avec l'armée ougandaise est exclue, mais une opération coordonnée est probable", a ajouté le haut gradé, en présentant à la presse deux miliciens arrêtés par ces hommes, pour clouer le bec à celles et ceux qui parlent de "présumés ADF".
Et le général Mbangu de prévenir: tous ceux qui se posent encore des questions sur l'identité réelle des ADF appartiennent eux aussi au camp des "ennemis".
Avec AFP