Comme beaucoup d'autres Zimbabwéens, Petros Chirenje avait définitivement relégué l'hyperinflation au rang des très mauvais souvenirs. Les billets de mille milliards de dollars, les sacs de cash pour acheter du pain... Mais depuis des semaines, il redoute que ce cauchemar ne se répète.
Etranglé financièrement, le gouvernement a annoncé l'introduction début novembre d'une nouvelle monnaie qui ne dit pas son nom, des "billets d'obligation" indexés sur le dollar américain.
"Ma crainte, c'est un recommencement de ce qui s'est passé en 2009", confie Petros Chirenje, 43 ans, électricien de Harare.
"J'avais alors 17.000 milliards de dollars zimbabwéens sur mon compte en banque. Et j'ai tout perdu quand le gouvernement a choisi une monnaie étrangère", se souvient-il, amer.
Pour enrayer une hausse des prix vertigineuse, qui avait atteint des centaines de milliards de pour cent, les autorités zimbabwéennes avaient alors été contraintes d'abandonner leur devise au profit du billet vert et du rand sud-africain.
"J'ai peur (aujourd'hui) que mes dollars américains soient convertis en +billets d'obligation+ que je ne pourrai pas utiliser à l'étranger", poursuit Petros. "Ce serait la mort de mon affaire, car je suis obligé d'acheter tout mon matériel à l'étranger".
A en juger par les queues qui s'allongent devant les banques de la capitale, ses craintes sont largement partagées. Les retraits d'argent liquide ont explosé et contraint plusieurs enseignes à réduire encore un peu plus les sommes maximales retirables...
Pour éviter tout mouvement de panique, les autorités ont annoncé une grande campagne de sensibilisation de la population avant le lancement des "billets d'obligation".
- 'Pas une solution' -
Le gouverneur de la Banque centrale, John Mangudya, a assuré que les ratés de 2009 ne se reproduiraient pas.
"La principale erreur a été faite en 2009 quand le gouvernement a libéralisé l'économie et adopté le dollar américain comme devise d'échange", a-t-il concédé dans un entretien publié lundi par le quotidien d'Etat The Herald. "Des investisseurs sont venus au Zimbabwe juste pour avoir des dollars et les faire sortir du pays".
"Ce ne sont que des mesures de court terme", a également promis M. Mangudya jeudi à des hommes d'affaires. "Le long terme, c'est de s'assurer que les investisseurs s'intéressent à notre économie".
Apparemment, ses propos n'ont pas convaincu les sceptiques.
"Les +billets d'obligation+ ne sont pas une solution à la crise de liquidités que connaît le pays", tranche Obert Gutu, le porte-parole du Mouvement pour un changement démocratique (MEDC), le principal parti d'opposition au régime.
"C'est une impasse qui ne fait que provoquer l'angoisse et la panique", ajoute-t-il.
Près des trois quarts des 16 millions d'habitants du Zimbabwe vivent aujourd'hui sous le seuil de pauvreté et 90% de la population active n'a pas d'emploi formel.
A cette crise s'ajoute une pénurie de devises étrangères qui a replongé la population dans une grande précarité. Cette situation nourrit depuis plusieurs mois une nouvelle vague de manifestations contre le gouvernement de Robert Mugabe, qui dirige le pays d'une main de fer depuis 1980.
- 'Ne plus pleurer' -
Dans ce contexte, certains doutent même de l'entrée en vigueur des "billets d'obligation" annoncés.
Plusieurs médias ont ainsi rapporté que l'entreprise allemande sollicitée pour imprimer les nouveaux "billets" de 2 et 5 dollars y avait finalement renoncé. D'autres relèvent que la date de leur entrée en vigueur a été repoussée d'octobre à novembre.
"Ces messages contradictoires n'aident pas, personne ne peut faire confiance au gouvernement", déplore l'économiste Tony Hawkins, de l'Université du Zimbabwe. "La main droite ne semble pas savoir ce que fait la main gauche et ce n'est pas bon pour l'économie".
Loin de ces considérations, les habitants d'Harare restent, eux, bien décidés à prendre leurs précautions.
Plantée depuis cinq heures devant un guichet, Mavis Chapo attend sagement son tour, avec la ferme intention de vider son compte en banque. "Je préfère récupérer tout mon argent avant qu'il ne disparaisse et me payer des choses que je n'avais pas prévu d'acheter", dit-elle.
"En 2009, j'ai pleuré lorsque tout mon argent a disparu", poursuit cette femme au foyer de 54 ans, "cette expérience m'a rendue plus sage, et surtout je ne veux plus en pleurer".
Petros Chirenje, lui non plus, ne croit pas aux "billets d'obligation". "Le gouvernement nous dit qu'ils seront l'équivalent des dollars américains", résume-t-il, "mais je me demande comment un simple bout de papier pourrait valoir la même chose qu'un dollar américain ?".
Avec AFP