Qu'importe que la photo fut officielle, prise lors du lancement de deux nouveaux appareils de la compagnie Air Tanzania qui ne disposent pas de première classe et qui ne décollent pas ce jour-là, les fans de Magufuli furent confortés dans leur admiration pour ce président africain pas comme les autres.
Depuis son élection en octobre 2015, John Magufuli, 56 ans, a montré un talent certain pour attirer sur lui les projecteurs et renforcer son image d'homme proche du peuple, chantre de l'anti-corruption et leader qui ne s'en laisse pas compter. Une image qui lui vaut une réelle popularité dans son pays: élu avec 58% des voix, il est crédité par un récent sondage de 96% d'opinions favorables.
Mais la médaille a son revers et le style direct, souvent abrupt, d'un président faisant fi des procédures, inquiète plus d'un observateur qui voient se dessiner une tendance autoritaire et populiste.
M. Magufuli et son administration ont ainsi fermé trois journaux, interdit des meetings de l'opposition et laissé se dérouler une élection pour le moins chaotique dans l'archipel semi-autonome de Zanzibar où l'opposition affirme, non sans arguments, avoir été volée de sa victoire.
- L'art de la transgression -
"Nous sommes tous un peu aveugles quand il s'agit d'envisager les aspects négatifs de ce qu'il fait", estime Nic Cheeseman, professeur de politique africaine à l'université d'Oxford. Selon lui, les décisions de Magufuli, bonnes ou mauvaises, répondent à la même volonté de transgresser les règles.
Surnommé "tingatinga", "bulldozer" en swahili, Magufuli a entamé son mandat en balayant lui-même les rues de la capitale le jour anniversaire de l'Indépendance, dont il avait annulé les cérémonies par souci d'économies. Il a débarqué sans ménagement des officiels soupçonnés de corruption ou d'inefficacité, mais aussi des fonctionnaires dont il avait constaté le retard au travail lors de visites surprises dans leur administration.
Dans la même veine, il a interdit les voyages en première classe et drastiquement réduit les confortables per diem des délégations gouvernementales voyageant à l'étranger.
Au point de susciter sur Twitter le hashtag "Que ferait Magufuli?", compilation de messages rivalisant d'humour pour trouver des moyens innovants d'économiser de l'argent.
Dans un pays où le règne du parti au pouvoir depuis l'indépendance en 1962 a laissé une jeunesse désenchantée vis-à-vis de la politique traditionnelle, le style Magufuli en a séduit plus d'un.
Pour l'analyste tanzanien Nicodemus Minde, la nomination comme candidat à la présidentielle de M. Magufuli, alors ministre des Travaux publics sans grande notoriété, a constitué un "coup de maître" du parti Chama Cha Mapinduzi (CCM).
"La marque CCM était ternie, mais pas Magufuli" qui offre un semblant de changement tout en perpétuant la mainmise du CCM sur le pays, décrypte M. Minde.
- Retour en arrière ? -
Des responsables de l'opposition dénoncent désormais les tendances "dictatoriales" de Magufuli, quand bien même l'opposition a pris le contrôle de la capitale économique Dar es-Salaam, d'Arusha, la grande ville du nord et remporté le plus grand nombre de sièges de son histoire au parlement.
Adjoa Anyimadu, chercheuse au centre de réflexion Chatham House, rappelle que les présidents tanzaniens font habituellement deux mandats de cinq ans et qu'il est dès lors "trop tôt pour dire si le rétrécissement de l'espace démocratique va se poursuivre pendant le reste de la présidence Magufuli".
Pour autant, juge la chercheuse, Magufuli s'apparente un peu "à un retour en arrière aux premières heures (encore balbutiantes) du multipartisme en Tanzanie" en 1992. D'autres, rappelle Nicodemus Minde, voient même en Magufuli "une réincarnation de Julius Nyerere", père fondateur de la Tanzanie et promoteur d'un "socialisme à l'africaine".
Sur la scène internationale, M. Magufuli se fait discret: il n'a pas participé aux deux derniers sommets de l'Union africaine conduisant M. Minde à s'inquiéter d'un possible isolement de la Tanzanie à l'international.
Dans une région où plusieurs régimes ont clairement privilégié le développement économique au détriment des libertés fondamentales, comme au Rwanda, en Ethiopie ou en Ouganda, la crainte de voir en Tanzanie la démocratie sacrifiée, au nom de la croissance économique, n'est pas infondée.
"Quand un dirigeant s'habitue à enfreindre les règles, les institutions s'affaiblissent et vient alors la question: est-ce que les contre-pouvoirs sont toujours là ?", résume l'universitaire Cheeseman.
Avec AFP