Après l'attentat-suicide contre un autobus de la sécurité présidentielle qui a fait 12 morts le 24 novembre, les autorités ont instauré un couvre-feu nocturne à Tunis, fermé temporairement la frontière avec la Libye et, pour la deuxième fois cette année, instauré l'état d'urgence.
De quoi rappeler crûment la fragilité du processus de démocratisation que le Nobel couronne cette année.
Amnesty International s'est inquiétée des descentes, perquisitions et arrestations réalisées par les forces de l'ordre. "L'actuel gouvernement doit veiller scrupuleusement à ce qu'il n'y ait pas de retour à la torture et à la répression au nom de la lutte contre le terrorisme", a souligné l'organisation de défense des droits de l'homme début décembre.
En attribuant le 9 octobre la prestigieuse récompense au quartette pour le dialogue national, le comité Nobel a pourtant tenu à ériger la Tunisie en modèle de réussite du printemps arabe, dont elle est d'ailleurs le berceau.
En 2013, à un moment délicat de l'histoire du pays, les organisations qui forment ce quartette - le puissant syndicat UGTT, l'organisation patronale Utica, la Ligue tunisienne des droits de l'homme (LTDH) et l'Ordre des avocats - avaient contribué à résoudre la crise politique née des blocages entre le parti islamiste Ennahda et ses opposants.
Leurs dirigeants ont reçu mardi la Légion d'honneur française. A cette occasion, le président François Hollande, dont le pays a également été placé en état d'urgence après les attentats du 13 novembre qui ont fait 130 morts, a appelé à se garder d'un "sentiment d'insécurité" porteur des "ferments de la guerre civile".
Alors que l'élan de révoltes populaires a cédé la place au chaos et aux violences en Libye voisine, au Yémen et en Syrie, ou au retour de la répression en Égypte, la Tunisie s'est, elle, dotée d'une nouvelle Constitution et a organisé des élections libres.
- Désunion -
Mais, près de cinq ans après le renversement du président Zine El Abidine Ben Ali, la mouvance jihadiste fait planer de nouvelles menaces.
Avant l'attentat contre la garde présidentielle revendiqué par le groupe État islamique (EI), deux autres attaques majeures ont ensanglanté le pays : la première avait fait 22 morts en mars au musée du Bardo à Tunis et la deuxième tué 38 touristes en juin près de Sousse (centre-est).
Un groupe se réclamant de l'EI a aussi égorgé en novembre un berger de 16 ans qu'il accusait d'être un informateur des autorités et, la semaine dernière, le ministère de l'Intérieur a annoncé l'arrestation de deux jihadistes suspectés de projeter des attentats-suicides.
Un groupe de travail de l'ONU a estimé à environ 5.500 le nombre de Tunisiens partis pour la Syrie, l'Irak ou la Libye, ce qui fait du pays l'un des plus gros fournisseurs du mouvement jihadiste.
La remise du Nobel au quartette intervient alors que deux de ses composantes, le syndicat UGTT et le patronat Utica, se bagarrent autour d'une augmentation salariale dans le secteur privé. Leurs divergences font tache.
"Au moment même où la Tunisie a besoin plus que jamais d'unité, d'entente et de certitude pour contrer la menace terroriste, (...) nos deux prix Nobel de la paix continuent, dans la désolation, d'alimenter la division, la suspicion, le doute et l'incompréhension", déplorait lundi le quotidien La Presse.
"Cet échec annoncé des négociations risque de plonger de nouveau tout le pays dans un cycle d'instabilité sociale", prévenait-il.
Au moins les Tunisiens repartiront-ils d'Oslo comblés. Si c'est le quartette qui, seul et unique lauréat, recevra la médaille Nobel officielle, l'Institut Nobel a accepté qu'une copie, également en or massif, soit distribuée à chacune des quatre organisations qui le composent mais... à leurs frais.
Avec AFP