Violences au Togo : quelles issues possibles à la crise?

Les forces de sécurité lors des manifestations à Lomé, Togo, le 18 octobre 2017.

La mobilisation populaire contre le pouvoir togolais a dégénéré en violences, faisant une centaine de blessés et au moins 7 morts cette semaine selon l'opposition. Après deux mois de tension entre le pouvoir et les manifestants, quelles sont les issues possibles à la crise?

Rétablir le silence par la peur?

Vendredi, la deuxième plus grande ville du pays située dans le centre, Sokodé, était une "ville fantôme", selon plusieurs sources contactées par l'AFP.


"Il n'y a plus une boutique d'ouverte à Sokodé, pas un service d'administration", confiait un habitant sous couvert d'anonymat.

"Depuis hier (jeudi), les militaires tirent à balle réelle, ils mènent des expéditions punitives dans les maisons", témoigne le représentant local de l'Alliance nationale pour le changement (ANC, opposition), Ouro Akpo Tchagnaou, ajoutant que la situation est similaire dans les villes du nord, nouveau foyer de contestation.

Autre changement récent de stratégie du gouvernement pour rétablir l'ordre dans le pays (selon des observateurs, dont Amnesty International): le déploiement de "miliciens" jusque dans la capitale Lomé, pour conduire des "bastonnades".

Ces hommes, habillés en civils, rappellent le temps du régime d'Eyadéma Gnassingbé (1967-2005), père de l'actuel président Faure Gnassingbé dont les manifestants réclament le départ.

Le ministre de la Sécurité, le colonel Yark Damehame dément ces allégations, assurant que "les forces de l'ordre ne sont pas les seules à détenir des armes" et accusant directement les manifestants d'être responsables des violences.

Les manifestations ont fait une douzaine de morts depuis deux mois (dont plusieurs mineurs et deux militaires lynchés par la foule), et près de deux cents blessés.

Une solution diplomatique?

Malgré cette escalade des violences, aucun chef d'Etat de la région ne s'est exprimé publiquement sur la crise togolaise.

Le Guinéen Alpha Condé (actuel président de l'Union africaine) "a tenté de nous rencontrer, il a même envoyé son avion nous chercher, mais c'est à la veille de notre départ que les arrestations (d'opposants) ont commencé" en début de semaine, a déclaré l'opposant Tikpi Atchadam (PNP) sur Radio France Internationale (RFI) vendredi.

Mercredi, le président béninois Patrice Talon s'est par ailleurs rendu discrètement à Lomé pour la deuxième fois en une semaine afin de s'entretenir avec son homologue togolais sur la crise politique, selon des sources proches de la présidence togolaise.


Mais Faure Gnassingbé est actuellement le président en exercice de la CEDEAO (Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest) ce qui "complique" toute initiative régionale, estime le politologue Gilles Yabi, interrogé par l'AFP.

M. Atchadam s'est tourné vers la France vendredi, en demandant à Emmanuel Macron "d'intervenir". La veille le Quai d'Orsay s'était montré expéditif, déclarant suivre "avec préoccupation la situation au Togo".

"Nous condamnons fermement les violences récentes qui ont fait plusieurs victimes (et) appelons les parties (...) à entamer un dialogue", a ajouté le ministère des Affaires Étrangères.

"Je ne suis pas sûr que le dossier togolais soit vraiment une priorité pour la France", justifie M. Yabi.

D'autre part, "le pouvoir français a été très proche du régime Gnassingbé pendant des années, et jusqu'à récemment. Or la mobilisation populaire actuelle est très forte, il est donc difficile d'imaginer Paris prendre une position plus directe", selon ce spécialiste de l'Afrique de l'Ouest.

Un référendum pour apaiser?

L'opposition réclame depuis dix ans une réforme constitutionnelle, notamment la limite à deux du nombre de mandats présidentiels. La constitution togolaise de 1992 a été modifiée à de nombreuses reprises pour maintenir Eyadéma Gnassingbé au pouvoir, puis pour faciliter l'accès de l'actuel chef d'Eta à la mort de son père en 2005.

Pressé par la crise actuelle, le gouvernement a proposé un projet de réforme, qui sera soumis au peuple "dans les prochains mois".

L'opposition rejette le texte en bloc, arguant qu'il n'est pas rétroactif et qu'il permettrait à M. Gnassingbé de se représenter en 2020, puis 2025.

Elle boycotte d'ailleurs la Commission électorale nationale indépendante (Céni), chargée d'organiser le référendum, où 5 sièges sur 17 lui sont réservés.

"Dans le contexte actuel, le référendum est une voie suicidaire" car les antagonismes opposition/pouvoir en seraient exacerbés, explique à l'AFP le Pasteur Edoh Komi du Mouvement de la société civile Martin Luther King.

Selon cette voix de la société civile, "le gouvernement doit renoncer à cette option inappropriée".

"Il est certes vrai que le référendum est légal et constitutionnel, mais il ne peut résoudre la crise togolaise", a-t-il ajouté.

Avec AFP