L'affaire fait des vagues dans le petit archipel pauvre de l'océan Indien. Depuis le 19 mai, l'ex-président Ahmed Abdallah Sambi, au pouvoir de 2006 à 2011, est en résidence surveillée dans sa propriété proche de la capitale Moroni.
La présidence a justifié sa décision par les "nombreuses atteintes à l'ordre public causées par ses agissements (jets de pierres sur les forces de l'ordre, manifestations violentes, perturbations de cérémonies religieuses...) et le maintien du bon ordre social".
>> Lire aussi : Suspension de la Cour constitutionnelle aux Comores
Le couperet est tombé quelques jours après le retour au pays de M. Sambi, qui s'en était absenté six mois, et un incident survenu devant la grande mosquée de Moroni.
Il y a une semaine, MM. Azali et Sambi s'étaient retrouvés pour la prière du vendredi mais, à la sortie de l'édifice religieux, les partisans du second avaient hué le premier.
L'assignation à résidence de M. Sambi a été doublée de l'obligation pour toute personne désirant prêcher "d'obtenir le consentement des oulémas" de Moroni. Une mesure qui vise sans le nommer l'ex-chef de l'Etat, un habitué des sermons religieux.
"La démocratie est menacée", a réagi le principal intéressé, très probable candidat à la prochaine présidentielle.
>> Lire aussi : Les reconduites à la frontière ont repris à Mayotte
Le gouvernement s'est défendu en assurant "ne faire qu'appliquer les textes pris du temps de Sambi, mais jamais utilisés". "Maintenant qu'ils le sont, on crie à la dictature", s'insurge auprès de l'AFP le ministre de l'Intérieur Mohamed Daoudou.
- Désordre -
L'opposition s'indigne également de la répression et de l'interdiction récente de plusieurs manifestations.
Début mai, un rassemblement du parti de M. Sambi, le Juwa, a été dispersé à grands jets de gaz lacrymogènes sur l'île d'Anjouan, d'où il est originaire.
En novembre, le parti de l'ex-président a dû se replier dans un hôtel faute d'autorisation pour tenir son congrès dans un stade.
"On n'organise pas un rassemblement public sans autorisation et sans en préciser l'objet... On ne peut pas laisser s'installer le désordre dans le pays", plaide le ministre de l'Intérieur.
>> Lire aussi : Deux ex-présidents au coeur d'un scandale de vente de passeports aux Comores
Pour M. Sambi, les motivations de son assignation à résidence ne font absolument aucun doute.
Elle est "motivée politiquement car j'ai dénoncé la décision du président de suspendre la Cour constitutionnelle et le projet de révision de la Constitution", a-t-il écrit au chef de la diplomatie des Emirats arabes unis, Abdullah Bin Zayed Al-Nahyan, qui reçoit cette semaine le président comorien.
Mi-avril, le colonel Azali, ancien putschiste élu à la magistrature suprême en 2016, a suspendu la Cour constitutionnelle. Officiellement faute de quorum car seuls trois des huit juges de la plus haute juridiction du pays avaient été nommés.
Cette institution était "inutile, superflue et incompétente", a justifié le porte-parole de la présidence, Mohamed Ismailla.
Il aurait "suffi de procéder à la nomination des juges manquants" pour qu'elle soit opérationnelle, a répondu en retour un de ses membres, Soidri Salim Madi.
Après ce coup d'éclat, le chef de l'Etat a annoncé une réforme des institutions qui pourrait permettre plusieurs mandats successifs.
>> Lire aussi : Les Comores exigent des excuses après les propos "choquants" de Macron
En vertu du principe atypique de la présidence tournante - tous les cinq ans - entre les trois îles qui composent l'Union des Comores (Anjouan, Grande-Comore, Mohéli), le sortant ne peut pas se représenter immédiatement pour un deuxième mandat.
- Coup d'Etat constitutionnel -
La réforme constitutionnelle, dont le texte n'est pas encore connu, sera soumise à référendum le 29 juillet.
Le colonel Azali a déjà fait savoir qu'en cas de victoire du oui, il organiserait des élections présidentielle et législatives anticipées dès 2019, au lieu de 2021, et qu'il y briguerait un nouveau mandat.
"Il s'agit d'un coup d'Etat constitutionnel", a déploré Youssouf Boina, secrétaire général de l'Union pour le développement des Comores (UPDC, opposition).
>> Lire aussi : Azali Assoumani à VOA Afrique : "Personne ne peut prétendre développer un pays seul"
"Azali vient de mettre en place une machine de guerre pour ses ambitions personnelles", a estimé son homologue du parti Juwa, Ahmed el-Barwane.
La société civile ne cache pas non plus ses inquiétudes. "On est sorti de la République pour rentrer dans une monarchie qui ne dit pas son nom", a affirmé Salim Soulaimana, président de la Fédération des organisations de la société civile (Fecosc).
Une situation à haut risque dans un pays à l'histoire politique mouvementée. Jusqu'à l'instauration en 2001 du système de la présidence tournante, les Comores ont été agitées par plusieurs crises séparatistes et coups d'Etat.
Le dernier putsch en date, en 1999, avait porté au pouvoir un certain colonel Azali. Il était resté au pouvoir jusqu'en 2006 avant de le céder démocratiquement à M. Sambi.
Avec AFP