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Bouaké reste une poudrière


Un gendarme devant les restes calcinés d'une voiture, Centre de coordination des décisions opérationnelles (CCDO), Bouake, le 10 janvier 2018.
Un gendarme devant les restes calcinés d'une voiture, Centre de coordination des décisions opérationnelles (CCDO), Bouake, le 10 janvier 2018.

"Bouaké, son carnaval, ses pagnes, ses casernes, ses mutins, ses caches d'armes...", pourrait-on lire sur une brochure touristique vantant l'ancienne capitale de la rébellion, deuxième ville de Côte d'Ivoire, toujours sous tension des années après la fin officielle de la crise dans le pays.

Aujourd'hui, le carnaval est anecdotique et la célèbre usine de pagnes est une immense friche où poussent les mauvaises herbes.

Soldats, mutins et armes en revanche sont toujours là. Un cocktail explosif sept ans après la fin d'une décennie de crise qui a fait plus de 3.000 victimes.

Capitale de la rébellion (2002-2011) quand le pays était coupé en deux, Bouaké compte - entre soldats, gendarmes, policiers, douaniers...-pas moins de dix casernes actives. Et deux inoccupées.

>> Lire aussi : Bouaké toujours sans eau

"Rebelle un jour, rebelle toujours", s'amuse sous couvert d'anonymat un des anciens rebelles intégrés dans l'armée après avoir porté l'actuel président Alassane Ouattara au pouvoir. Ils ne sont pas rentrés dans le rang pour autant.

Bouaké-la-Rebelle continue de mériter son surnom: en janvier et mai 2017, elle a été l'épicentre de mutineries qui ont ébranlé le pays.

Les mutins réclamaient et ont obtenu des primes substantielles par rapport au niveau de vie: 12 millions de F CFA (18.000 euros) par tête.

- "Sur le dos de la population" -

Soucieux d'éviter de nouvelles mutineries, le gouvernement a lancé une difficile réforme de l'armée, qui rassemble ex-rebelles et soldats qui se sont longtemps combattus.

Pour contrebalancer l'omnipotence des anciens mutins, il a implanté à Bouaké une caserne du Centre de coordination des décisions opérationnelles (CCDO), force police-gendarmerie de 300 hommes et ouvert une antenne des Renseignements généraux.

Pactole versé, contre-pouvoir, renseignements... certains pensaient le problème réglé.

Mais en janvier, des soldats ont attaqué la caserne du CCDO "pour faire la peau" - selon l'expression d'un soldat - à un de ses chefs.

Murs criblés d'impacts de balles, salles calcinées: il n'y pas eu de victimes, mais l'état de la caserne montre la détermination des militaires. L'officier visé n'a eu la vie sauve qu'en s'échappant par un trou dans un mur.

Les autorités avaient alors balayé l'incident, l'attribuant à une histoire de femme infidèle. "Comme si c'était plus acceptable... Quand les soldats ont un problème, ils sortent les armes et tirent. C'est plus qu'inquiétant pour l'avenir", souligne une source sécuritaire française qui requiert l'anonymat.

Les soldats se justifient en expliquant qu'ils ont mis fin aux agissements (vol, extorsion, racket) de cinq membres du CCDO. "Les cinq sont partis, on cohabite sans problème aujourd'hui avec le CCDO."

Sous couvert d'anonymat, un habitant confirme mais souligne: "certains soldats vivent sur le dos de la population".

"La querelle de personnes est passée. On fait notre job. Notre boulot c'est le banditisme et la délinquance. Pas les mutins", confirme de son côté un membre du CCDO. Il reconnait toutefois: "La situation est calme dans la mesure où c'est Bouaké. Tout ici prend des proportions que ça ne prendrait pas ailleurs".

- "Ca peut exploser" -

"Une des raisons de tout ca, c'est l'échec du DDR (plan post-crise Désarmement, démobilisation, réinsertion) Il y a beaucoup d'armes dans cette zone. Ca peut exploser à tout moment", estime Hervey Delmas Kokou, directeur d'Amnesty international Côte d'Ivoire. "Il n'est pas rare que ça crépite le soir à Bouaké. On circule peu sur les routes après 18h en raison des coupeurs de route."

Les ex-mutins gardent l'arme à la main. "On nous avait promis de meilleures conditions de vie, de meilleurs salaires, de l'avancement, d'augmenter les primes par enfant. Il n'y a rien", confie l'un d'eux.

"Ca va bouger encore. En 2020 il y aura du boulot!", confie un autre en faisant semblant de tirer en l'air avec son pouce et son index.

2020, c'est la fin du deuxième mandat du président Ouattara dont la succession suscite ambitions, querelles, haines et alliances.

"Ce qui se passe en ce moment, ce n'est rien de bon. Troisième mandat de Ouattara? Bédié? Gon Coulibaly? Tous des vieux! On veut des jeunes. Y en marre!", conclut-il. "On a porté Ouattara au pouvoir, on peut l'enlever."

Soutient-il Guillaume Soro président de l'Assemblée nationale, à qui l'on prête des ambitions? L'homme sourit mais ne prononce pas son nom... Un proche de l'ex-chef rebelle est en prison après la découverte d'une cache d'armes dans sa maison de Bouaké.

Le maire Nicolas Djibo veut des mesures drastiques: "Il faut évacuer l'effectif militaire de Bouaké". Pour lui, une démilitarisation totale améliorerait la sécurité tout en permettant d'exploiter les vastes terrains militaires.

"Le climat sécuritaire a pesé sur le développement", dit-il "La démilitarisation aurait un impact économique fort. Il y a un fort chômage des jeunes et des femmes alors que chaque coup de feu tiré, c'est un investisseur qui s'enfuit!".

Avec AFP

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