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En l'absence de réformes, l'Ethiopie court un risque d'enlisement


Des manifestants se sont rassemblés pour protester contre l'injuste redistribution de la richesse à Addis Ababa, en Ethiopie, le 6 août 2016.
Des manifestants se sont rassemblés pour protester contre l'injuste redistribution de la richesse à Addis Ababa, en Ethiopie, le 6 août 2016.

Confronté à la contestation la plus grave depuis son accession au pouvoir en 1991, le régime éthiopien court le risque de s'enliser dans la crise si les promesses de réformes ne sont pas appliquées, estiment chercheurs et analystes.

L'état d'urgence, imposé depuis le 9 octobre pour six mois sur tout le territoire, a jeté une chape de plomb. Plus de 2.500 arrestations ont eu lieu ces dernières semaines, selon un décompte des autorités. L'internet mobile et les réseaux sociaux sont bloqués pour empêcher la diffusion d'appels à manifester.

"La violence a été contenue (...) Nous avons une situation plus ou moins stable", se félicite le porte-parole du gouvernement, Getachew Reda.

Les régions oromo (centre et ouest) et amhara (nord), où la contestation est la plus forte, sont soumises à un véritable état de siège. Ces deux ethnies sont les plus importantes d'Ethiopie et représentent plus de 60% de la population.

"Le gouvernement veut montrer sa force. L'état d'urgence a un impact psychologique destiné à accroître le sentiment de peur et d'insécurité dans la population", analyse René Lefort, chercheur spécialisé sur la Corne de l'Afrique.

"En revanche, je suis sceptique sur la capacité et la volonté du régime de s'ouvrir", ajoute t-il, disant craindre "un pourrissement" de la situation, où la répression contiendra la contestation sans parvenir à en venir à bout.

Au lendemain de l'instauration de l'état d'urgence, le Premier ministre, Hailemariam Desalegn, a annoncé vouloir réformer le système électoral et en finir avec les scores soviétiques du Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens (EPRDF).

Au pouvoir depuis la chute de la dictature communiste de Mengistu Haile Mariam (1974-1991), l'EPRDF a remporté 99,8% et 100% des sièges au Parlement lors des élections de 2010 et 2015.

Ces promesses sont accueillies avec scepticisme. Si elle a lieu, la réforme électorale ne prendra pas effet avant 2020. Un remaniement ministériel évoqué depuis plusieurs semaines, pour écarter certains dirigeants soupçonnés de corruption, tarde à se concrétiser.

Pour Jean-Nicolas Bach, directeur du Centre d'études et de documentation économiques, juridiques et sociales (CEDEJ) à Khartoum et spécialiste de l'Ethiopie, l'EPRDF persiste dans "ses ambitions hégémoniques et des modes de gouvernement autoritaires".

"Les objectifs du Front ont toujours été clairs: se maintenir au pouvoir pour emmener le pays sur le chemin du développement. Quant à la démocratisation, elle viendra quand elle viendra", explique-t-il.

Une population 'désenchantée'

Le régime, hérité de la guérilla axée sur la minorité des Tigréens et menée par l'ancien homme fort du pays, Meles Zenawi, décédé en 2012, est crédité de réelles avancées.

L'Ethiopie flirte depuis dix ans avec les 10% de croissance annuelle. La mortalité infantile et la malnutrition ont été réduites de moitié sur la même période, selon la Banque mondiale.

Mais ce développement s'est accompagné d'un durcissement sur les droits de l'homme, d'une fermeture de l'espace politique et d'accusations de corruption de plus en plus mal vécues par la population.

"Il faut mettre fin à l'impunité des officiels locaux et mettre en place de meilleurs contrôles", estime Daniel Berhane, fondateur du blog HornAffairs et réputé proche du pouvoir.

A la veille des élections de 2015, il avait identifié 21 circonscriptions susceptibles d'être remportées par l'opposition, dans les secteurs de Gondar, en région ahmara, et West Shoa, en région oromo.

La victoire sans partage de l'EPRDF a laissé une partie des Ethiopiens "désenchantés". "Sans surprise, ces deux régions sont devenues l'épicentre des manifestations", dit-il.

La répression brutale du mouvement - plusieurs centaines de morts, selon les organisations de défense des droits de l'homme -, conjuguée à l'immobilisme politique, ont abouti à l'explosion de violences des dernières semaines.

Celles-ci ont sérieusement entamé la réputation du pays, jusqu'ici considéré comme l'un des plus stables du continent, faisant craindre un recul des investissements.

"Les manifestations ont grandement fragilisé la coalition au pouvoir et le retour à une stabilité réelle prendra des années (...) D'ici là, le départ d'investisseurs, en particulier des Occidentaux dans le secteur de l'agriculture, est très probable", prédit Emma Gordon, chargée de l'Afrique de l'Est pour Verisk Maplecroft.

Selon ce cabinet britannique d'analyse des risques, le scénario le plus probable est celui d'un statu quo, avec une contestation affaiblie mais persistante.

"Les réformes proposées ne satisferont sans doute pas les manifestants. Ils demandent des concessions plus larges, visant à réduire la domination de la minorité des Tigréens et une réduction des pouvoirs des forces de sécurité", observe Emma Gordon.

Avec AFP

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