Un essaim de motards hérissés de fusils et machettes déboule dans un village centrafricain en flammes et au sol jonché de cadavres. "Coupez, coupez !", lance une voix venue d'ailleurs. Aussitôt, les combattants baissent leurs armes et les cadavres se relèvent.
"J'ai toujours pensé, et on m'a beaucoup pris pour un fou, que ce serait plus facile (de tourner) en Centrafrique" qu'ailleurs, sourit le réalisateur français Boris Lojkine.
"On sait que le réel est plus fort, plus inventif que la fiction", abonde Bruno Nahon, producteur du film, qui affirme avoir été séduit par l'obsession réaliste du réalisateur. "Il fallait être à la hauteur de ce qu'a vécu Camille, de son courage."
La photo-journaliste Camille Lepage, 26 ans, avait été tuée alors qu'elle effectuait un reportage près de Bouar, dans l'ouest du pays.
Selon une source proche du dossier à l'époque, elle est morte le 12 mai 2014 d'une balle dans la tête, alors qu'elle circulait sur une moto pilotée par un chef antibalaka. Elle accompagnait ce groupe de miliciens autoproclamés d'autodéfense, qui auraient été pris dans une embuscade.
L'obsession pour le réalisme de Boris Lojkine se révèle dans chaque détail : le lieu, malgré la situation sécuritaire, les langues, le déroulé des événements rythmé par l'utilisation d'images d'archives. Quant aux acteurs, beaucoup rejouent leur propre histoire.
- Ex-miliciens en figurants -
Certains figurants antibalaka ont réellement appartenu à ces milices prétendant défendre leur territoire contre la Séléka, une rébellion à majorité musulmane venue du nord du pays qui renversa le régime centrafricain de François Bozizé en 2013.
"Michaël Zumstein va jouer son propre rôle, on sent qu'il est bon acteur", note le producteur: M Zumstein, lui aussi photographe, était à Bangui au même moment que Camille Lepage.
"Boris ne voulait pas de comédien à la base", se souvient Nina Meurisse, actrice principale jouant le rôle de Camille et comédienne de métier.
"Le directeur de casting cherchait quelqu'un qui lui ressemblait. Quand j'ai vu la photo je me suis dit, tiens c'est drôle, on a un truc en commun", explique-t-elle, à l'ombre d'un manguier, dans les locaux de l'Alliance Française qui soutient le projet, en plus des partenaires Canal-Plus, Pyramide et le Centre national du cinéma français (CNC).
Et si elle dit tout de go qu'"il n'était pas possible de refuser ce rôle", elle évoque néanmoins les difficultés du tournage: "quand on tourne, on dit aux acteurs +il se passe ça, tu dois être dans cet état+, et je me dis qu'eux l'ont vécu, cet événement".
Coller de trop près à la réalité, dans une Centrafrique qui n'est pas totalement sortie de l'histoire racontée par le film, peut sembler risqué : les combats restent quotidiens dans ce pays ravagé par la guerre civile depuis 2013.
Mais Boris Lojkine ne semble pas effrayé: "on a commencé un dimanche avec une scène impressionnante, la reconstitution d'une manifestation qu'avaient organisée les juges en novembre 2013 à la suite de l'assassinat d'un magistrat de Bria (est) par la Séléka".
- Journalistes toujours ciblés -
"Ca pouvait sembler spectaculaire mais ça s'est très très bien passé", dit-il, remerciant les autorités centrafricaines qui sécurisent le tournage.
"Pour être à la hauteur, il faut s'installer longtemps dans le pays", souligne Bruno Nahon, évoquant le parcours du réalisateur, arrivé à Bangui dès avril 2016 pour lancer des ateliers documentaires puis participer aux ateliers Varan, qui forment de jeunes réalisateurs centrafricains.
Ces derniers travaillent désormais sur tournage du film. "Le tournage est le précipité de tout ce qui a été fait en amont", conclue le producteur.
Si le scénario comporte des scènes violentes, "la scène de la mort de Camille est laissée hors champ", explique Boris Lojkine. "On raconte la vie de cette jeune femme sans empiéter sur le travail de la justice toujours en cours".
Bientôt, la réalité reprendra à la fiction sa place sous les projecteurs : l'affaire Camille Lepage pourrait être jugée avant la fin de l'année, lors des prochaines sessions criminelles de Bangui.
Cependant, s'il y a eu un nombre indéterminé d'arrestations, "nous n'avons aucune piste sérieuse", selon une source judiciaire à Bangui.
Plus de quatre ans après la mort de Camille Lepage, être journaliste en Centrafrique reste risqué.
"Les attaques contre les médias se poursuivent et la sécurité des journalistes, pris en étau entre les différentes factions en guerre, est loin d’être assurée", selon l'ONG Reporters sans frontières (RSF).
Avec AFP