Muhammadu Buhari, 79 ans, apparaît désarmé et effacé face aux violences quotidiennes des bandes criminelles et groupes jihadistes qui sévissent dans le Nord du pays et qui se rapprochent désormais de la capitale. Et alors même que l'ancien général a annoncé ne pas se représenter en février 2023 après son second mandat.
"Il y a une pression croissante à travers toutes les couches de la société sur la nécessité de résoudre l'insécurité qui sévit dans le pays", souligne Idayat Hassan, directrice du Centre for Democracy and Development. "Le problème actuel est que personne n'est en sécurité dans le pays", insiste Mme Hassan. "Les jihadistes, qu'on croyait vaincus, sont de retour et ils attaquent désormais le pays même dans le siège du pouvoir".
Le mois dernier, le groupe Etat islamique a revendiqué l'attaque d'une prison située à l'extérieur d'Abuja, la capitale, libérant des centaines de détenus à seulement 40 km du palais présidentiel et de l'aéroport international. Située dans le centre du Nigeria, Abuja est à des centaines de kilomètres du nord-est, où opèrent généralement les groupes jihadistes, capables désormais de frapper hors de leur fief.
Un convoi de sécurité du président a ensuite été attaqué dans le nord-ouest, où sévissent des bandes armées meurtrières, les "bandits", avant que des soldats de la garde présidentielle ne tombent dans une embuscade près d'Abuja. Abuja et sa banlieue n'avaient plus fait l'objet d'attaques depuis 2015, de quoi donner l'impression d'un retour en arrière.
"Impuissant"
Car l'ancien général de l'armée, auteur d'un coup d'Etat dans les années 80, avait justement été élu en 2015 puis réélu en 2019 pour sa réputation d'homme fort et sa promesse de mettre un terme à l'insécurité. "On croyait en Buhari parce que c'est un général. Aujourd'hui, il est négligent et doit se réveiller", lance Frank Kokori, membre influent du parti au pouvoir.
Une source sécuritaire dans le nord-est abonde : "Buhari est dans une position peu enviable. Il est le président du pays et, naturellement, il doit assumer la responsabilité de toute défaillance en matière de sécurité. Mais en vérité, il est impuissant". "Aucun gouvernement nigérian n'a consacré plus de budget à la sécurité que celui de Buhari, mais la situation sécuritaire n'a cessé de se détériorer", poursuit cette source, sous couvert d'anonymat.
Les sénateurs du Parti démocratique populaire (PDP), principal groupe d'opposition, ont lancé un ultimatum au président: enrayer les violences ou faire face à la menace d'une procédure de destitution dans les semaines à venir. A six mois de l'élection présidentielle, l'insécurité est aussi un argument de campagne.
Car, en réalité, cette menace de procédure d'impeachment devrait rester lettre morte – l'opposition n'est pas majoritaire et la procédure est complexe. Elle n'a pas assez de poids et survient trop tard pour être prise au sérieux, explique Udo Jude Ilo de cabinet de conseil Thoughts and Mace Advisory.
Acculé, le président Buhari a annoncé des changements au sein de l'appareil sécuritaire. Une réponse peu convaincante pour M. Jude Ilo: "Les chefs de service sont toujours là, c'est à peine croyable".
"Combinaison effrayante"
Face aux multiples crises qui secouent le pays, le président apparaît détaché, lui qui multiplie les voyages à l'étranger pour des raisons de santé et qui communique autant sur les anniversaires des membres de son administration que sur les victimes des attaques.
Pendant ce temps, les bandits continuent à ravager les villages du nord-ouest et du centre du pays, pillant, kidnappant et tuant chaque semaine des dizaines de personnes. Et les jihadistes du nord-est, où ils mènent une insurrection depuis 2009 ayant fait 40.000 morts et 2.2 millions de déplacés, cherchent à frapper dans le sud, selon les analystes.
Pire encore: de nombreux experts font état d'alliances entre les "bandits" et les jihadistes, source d'inquiétude pour l'Etat. Depuis le Covid-19, le Nigeria connaît une grave crise économique, désormais accentuée par l'invasion russe en Ukraine, avec des taux d'inflation et de chômage en constante hausse.
Depuis 2015, "il n'y pas de politique cohérente contre non seulement l'insécurité mais aussi contre les facteurs d'insécurité", renchérit M. Jude Ilo. "Beaucoup ont perdu leur emploi", ajoute-t-il, de quoi fournir un terreau de personnes susceptibles de rejoindre les gangs ou les groupes jihadistes. "A l'approche des élections, c'est une combinaison (de facteurs) effrayante".