Observateurs internationaux interdits, journalistes autorisés par intermittence, public limité à deux proches par accusé : les autorités angolaises verrouillent la couverture du procès des 17 opposants au régime, dont le rappeur Luaty Beirao, poursuivis pour tentative de coup d'Etat.
Depuis son ouverture le 16 novembre, le procès qui se déroule à Luanda mais loin du centre ville n'est ouvert à la presse que par intermittence, en fonction du bon vouloir du juge.
Les représentants de l'ambassade du Portugal, l'ancienne puissance coloniale, n'ont toujours pas été autorisés dans la salle d'audience, tout comme les autres observateurs internationaux.
"Le droit à une audience publique constitue une garantie fondamentale d'un procès équitable, et interdire, sans justification, l'accès à la salle d'audience à plusieurs observateurs représente une violation des droits de l'Homme", estime Muleya Mwananyanda, directrice adjointe d'Amnesty International pour l'Afrique australe.
"Parodie de justice" selon Amnesty
Pour l'organisation de défense des droits de l'Homme, on assiste à "une parodie de justice", qui met "l'indépendance du pouvoir judiciaire angolais en question".
Luaty Beirao a été arrêté le 20 juin avec 16 autres militants issus d'un mouvement de jeunesse qui demande le départ du président Jose Eduardo dos Santos, au pouvoir depuis 1979, et réclame de meilleures conditions de vie. Tous sont accusés par le ministère public de rébellion et de tentative de coup d'Etat, et encourent entre 3 et 12 ans de prison.
"Les militants paient très cher le fait d'avoir osé demander un changement de pouvoir après 36 ans de présidence de José Eduardo dos Santos", estime Hugo Gabbero, chef de projet pour la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH).
"L'information autour du procès est verrouillée. Ce verrouillage montre clairement que les autorités angolaises souhaitent empêcher une mobilisation internationale autour du procès", ajoute-t-il pour l'AFP.
Caméra cachée
"La presse officielle et notamment la télé donnent une information manipulée, tandis que les autres journalistes qui couvrent le procès sont empêchés de faire leur travail", dénonce aussi Mario Paiva, journaliste angolais pour le quotidien indépendant Agora. "Le public n'a pas la possibilité d'être bien informé", dit-il à l'AFP.
Le journal de TV Zimbo, la chaîne publique, couvre largement le procès, en reprenant notamment des vidéos tournées en caméra cachée qui constituent le socle de l'accusation.
Sur une de ces vidéos, un des accusés parle de révolution.
Dans la foulée, le journaliste commente ces images pour prouver, comme l'affirme l'accusation, que des millions de dollars provenant de l'étranger étaient à la disposition des prévenus afin de renverser le président Dos Santos.
Devant un poste de télévision installé sur un trottoir de Luanda, une femme de ménage suit le journal de TV Zimbo. Elle lance, soulagée et sous couvert d'anonymat : "Heureusement qu'ils ont été arrêtés par la police." Elle est persuadée d'avoir échappé à une révolution alors que la guerre civile qui s'est terminée en 2002 est encore dans tous les esprits.
Les médias indépendants sont rares
Pour avoir une lecture des événements différente de celle des médias publics, il faut regarder les très rares sites internet indépendants ou les réseaux sociaux.
Le site internet Club K, un portail internet installé aux Etats-Unis, remet dans leur contexte les vidéos diffusées au procès et montrées par les médias d'Etat.
Selon les avocats des accusés, les "télévisions publiques" choisissent certaines séquences de ces vidéos et les montent de façon à donner une vision déformée de la réalité.
La semaine dernière, quatre des prévenus ont entamé une grève de la faim pour protester contre la longueur de leur procès. Parmi eux se trouve Luaty Beirao, qui a déjà effectué une première grève de la faim de 36 jours en septembre-octobre.
Le jeune homme qui a la double nationalité luso-angolaise bénéficie d'un large soutien au Portugal, où le procès est suivi avec attention. Des manifestations ont d'ailleurs été organisées à Lisbonne, qualifiées par Luanda d'"ingérence internationale".
Avec AFP