Sur la photo, l'ancien homme fort du Zimbabwe, costume de couleur et cravate, se tient debout auprès de l'officier à la retraite Ambrose Mutinhiri, en chemise noire et tout sourire.
Ce dernier dirige la nouvelle formation politique du Front national patriotique (NFP), créé discrètement dans la foulée de la chute de Robert Mugabe le 21 novembre. Et cette semaine, Ambrose Mutinhiri, qui a démissionné de la Zanu-PF, a annoncé sa candidature à la présidentielle prévue d'ici août.
La photo des deux hommes, placée en haut du communiqué de presse du NFP, a fait l'effet d'une bombe au sein de la Zanu-PF, que Robert Mugabe dirigeait encore jusqu'à mi-novembre.
La Ligue des jeunes de la Zanu-PF, qui a pendant des décennies soutenu Robert Mugabe, a dénoncé avec virulence l'attitude de l'ancien président, scandant "A bas Mugabe" pendant une réunion mercredi à Harare. Une situation impensable il y a encore quelques mois.
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Le nouveau chef de l'Etat, Emmerson Mnangagwa, patron de la Zanu-PF et candidat à la présidentielle, a reconnu qu'"il y avait un problème avec l'ancien président".
"On voit, dans les médias, différentes conjectures" sur les activités de Robert Mugabe, "nous ne savons pas si ce qui relève de la réalité ou pas, mais c'est un sujet sur lequel nous nous penchons", a-t-il assuré sans plus de précisions.
La photo "conforte l'idée que la famille Mugabe est bien derrière le projet" du NFP de présenter un candidat à la présidentielle contre la Zanu-PF, estime l'analyste Gideon Chitanga interrogé par l'AFP.
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Pour les experts, Emmerson Mnangagwa a toutes les raisons d'être "mal à l'aise". "C'est la panique en coulisses, en particulier à la Zanu-PF", affirme l'un d'eux, Brian Kagoro du centre de réflexion UHAI Africa.
La démission la semaine dernière d'Ambrose Mutinhiri de la Zanu-PF et l'annonce de sa candidature à la présidentielle ont mis en évidence les profondes divisions au sein du parti au pouvoir et les tentatives destinées à obtenir le soutien de la très influente armée.
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C'est sous la pression des militaires, de la rue et de son propre parti la Zanu-PF, que Robert Mugabe avait dû renoncer au pouvoir le 21 novembre, après trente-sept ans à la tête du pays.
Depuis, il s'était fait extrêmement discret. Jusqu'à son retour photographique cette semaine.
La Zanu-PF doit maintenant "gérer l'incertitude de savoir qui est de son côté et qui ne l'est pas", constate Brian Kagoro. "Il y a une lutte pour obtenir la légitimité parmi les plus hauts responsables militaires à la retraite."
Dans ses rangs, le NFP compte des personnes "choquées de la manière anticonstitutionnelle et humiliante avec laquelle le président a été limogé de la Zanu-PF et du pays", explique la nouvelle formation.
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"Chacun est libre d'appartenir au parti de son choix", estime le NFP, affirmant reprendre là des propos de Robert Mugabe.
Le programme de la nouvelle formation est "aligné sur celui du G-40", la faction de la Zanu-PF qui soutenait Grace Mugabe, la très influente et ambitieuse épouse de l'ancien président, constate Gideon Chitanga, du centre de réflexion Political Economy Southern Africa.
C'est précisément contre le G-40 que l'armée était intervenue en novembre. Il s'agissait au final d'empêcher Grace Mugabe de succéder le moment venu à son époux.
Depuis, la Zanu-PF a fait le ménage au sein de sa direction où les membres du G-40 ont été remerciés.
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Selon les experts, en dépit des remous provoqués par Robert Mugabe, il est peu probable que le NFP joue les trouble-fêtes à la présidentielle.
"Ils essaient de créer l'impression que Mugabe a encore des soutiens", estime Derek Matyszak, analyste politique indépendant zimbabwéen. "Mais je ne pense pas qu'ils vont aller très loin", avance-t-il.
Robert Mugabe "n'est pas habitué à ne pas exercer le moindre pouvoir", note-t-il. "Mais je ne peux pas imaginer qu'il revienne vraiment dans la sphère politique parce qu'il dépend de Mnangagwa pour avoir une retraite confortable. Et Grace idem."
Avec AFP