Haut de quatre étages, construit en 1957, leur immeuble est menacé d'être démoli car jugé désuet et obsolète par la mairie de Moscou.
"C'est un immeuble en brique, tout le monde sait qu'ils peuvent tenir pendant 150 ans, donc c'est un choc pour nous", raconte Valeria, 31 ans, qui travaille dans une entreprise d'équipement médical.
Surnommés les "Khrouchtchevki" parce que construits à l'époque où Nikita Khrouchtchev dirigeait l'Union soviétique, dans les années 1950 et 1960, ces immeubles sont emblématiques des banlieues de Moscou, mais aussi de très nombreuses villes russes où ils ont permis de résoudre la crise du logement que connaissait alors le pays. Ils sont, notamment à Moscou, un des legs les plus visibles de l'époque soviétique, plus de 25 ans après la chute de l'URSS.
Mais le maire de Moscou Sergueï Sobianine, appuyé par le Kremlin, veut remplacer des milliers d'édifices comprenant peu d'étages par de hautes constructions permettant de loger bien plus de familles, dans une capitale de 12 millions d'habitants où la place manque.
L'annonce fin février de la démolition concernait au départ 8.000 immeubles où vivaient 1,6 million de personnes. Mais de vives protestations parmi les habitants, qui craignent notamment de voir bafoués leurs droits de propriétaires, ont rapidement conduit les autorités à revoir en baisse leur projet: il est désormais question de 4.500 immeubles, où vivent des centaines de milliers de personnes.
"L'objectif est d'améliorer les conditions de logement des personnes qui habitent dans des immeubles sur le point de s'écrouler", a déclaré Vladimir Poutine lors d'une réunion ministérielle. "Mais il va sans dire qu'il faut que ce soit fait d'une manière qui ne viole pas les droits des citoyens", a-t-il précisé.
Le programme doit commencer en septembre et devrait coûter à l'Etat plus de 57 milliards d'euros.
'Déportation' des Moscovites
Les "Khrouchtchevki" ont permis à des familles entières d'obtenir leur indépendance après avoir vécu des décennies dans les "kommounalki", ces appartements communautaires où cohabitaient plusieurs familles.
Symboles de progrès, ils ont été célébrés dans de nombreux films soviétiques et dans une opérette de Dmitri Chostakovitch en 1958, "Moscou, quartier des cerises". Près de 70 ans plus tard, l'annonce de leur destruction a fait l'effet d'un coup de tonnerre en Russie.
"C'est une étape historique. Il n'y a probablement pas eu de changement aussi important à Moscou depuis les années 1950", affirme Petr Tolstoï, député du parti au pouvoir Russie Unie.
A ses yeux, conserver les "Khrouchtchevki" qui ont seulement quatre étages reviendrait à gâcher de l'espace dans Moscou.
Edifiés sous la forme de vastes ensembles, les Khrouchtchevki sont souvent assortis d'une cour verdoyante, mais sans ascenseur et avec de minuscules cuisines. Si certains sont en préfabriqués, d'autres sont en brique, comme celui de Valeria Ievseïeva.
"Ils sont obsolètes. Il est impossible de les réparer, rénover ou reconstruire: les gens y vivent vraiment dans des conditions horribles", assure M. Tolstoï, à l'origine avec d'autres députés d'une loi sur les démolitions, jugée trop floue par de nombreux habitants.
Ainsi, l'Etat promet à ces derniers un appartement de taille "équivalente" -et non pas de la même valeur- dans le même quartier.
L'accord d'une majorité des habitants est en théorie nécessaire pour qu'un immeuble soit détruit (il faudra 66% de voix pour, selon le maire): les habitants n'auront alors que 60 jours pour déménager et il leur sera impossible de contester cette décision.
"Toute personne (...) peut être expulsée et être déplacée à un endroit où (le maire de Moscou Sergueï) Sobianine souhaite qu'il aille", estime la député municipale Alexandra Andreïeva.
Lorsqu'elle a appris que son appartement haut de plafond était lui aussi menacé, Valeria Ievseïeva était horrifiée.
"L'attitude des autorités envers la population est injuste, ils prennent ton logement, et c'est tout, tu n'as droit à rien", dénonce celle qui a pour la première fois de sa vie manifesté contre la "déportation des Moscovites".
'Insulte personnelle'
A Izmaïlovo, dans le nord-est de Moscou, des représentants de la mairie ont organisé une rencontre avec les résidents des "Khrouchtchevki", sans réussir néanmoins à préciser où ils seront relogés, provoquant la déception dans l'assemblée.
Les autorités municipales font preuve "de manque de respect face à la propriété privée, garantie par la Constitution", a dénoncé le journal Vedomosti.
Mais certains habitants sont heureux à l'idée de quitter leur vieil immeuble. L'immeuble "est délabré, il n'a rien de plaisant", résume ainsi Ekaterina.
A 80 ans, Zoïa Kharitonova, l'une des architectes à l'origine des plans d'urbanisme dans les années 1960, se promène le coeur serré à Golianovo, un quartier du nord de Moscou.
"Ces bâtiments ont été imaginés et construits en 1965 et ils sont toujours debout aujourd'hui, tous dans un très bon état...", souligne-t-elle.
"Quand j'entends qu'il est temps de (les) démolir, je le prends pour une insulte personnelle", ajoute la vieille dame. "Ces immeubles sont ma fierté, et brusquement quelqu'un décide qu'il faut les détruire."
Avec AFP