Ghana: l'art contemporain s'invite dans les rues d'Accra

Des clients regardent des étalages sur le marché de Makola à Accra, Ghana, le 15 juin 2015.

Une célébrité ghanéenne qui apprend le pidgin, l'anglais créole, à un diplomate anglais: la peinture satirique, suspendue sur un vieux fort symbole du passé esclavagiste du Ghana, fait partie des centaines d'oeuvres exposées le weekend dernier en plein coeur d'Accra.

La caricature géante, signée de l'artiste contemporain ghanéen Bright Ackwerh, fait référence à une polémique, provoquée par un tweet du consul britannique basé à Accra posté en avril dernier, où il critiquait l'accent créole très marqué d'une présentatrice de télévision locale.

L'affaire avait suscité l'indignation dans cette ancienne colonie britannique. Pour l'artiste ghanéen, ce fut une source d'inspiration.

Sa peinture n'est qu'un exemple parmi tant d'autres oeuvres exposées à l'occasion du Chale Wote festival: pendant deux jours, des artistes venus de tout le continent africain, réputés ou inconnus du grand public, ont carte blanche pour redécorer et animer les rues de la capitale ghanéenne.

"Un événement comme celui-ci est avant-gardiste", explique à l'AFP Bright Ackwerh, soulignant que l'art ouest-africain a été trop longtemps associé aux peintures de couchers de soleil ou aux masques tribaux.

"J'ai l'impression que nous avons vraiment évolué par rapport à tous ces clichés. Notre art est un art moderne", se targue-t-il.

L'art moderne et contemporain africain a pris son essor depuis plusieurs années, grâce notamment à la création de nombreuses galeries spécialisées - principalement à Londres - où les oeuvres se vendent plusieurs millions de dollars.

Symbole de l'émergence de ce nouveau marché, le célèbre marchand d'art Sotheby's a ouvert un département pour l'art moderne et contemporain africain et prévoit sa première vente aux enchères spécialisées sur les oeuvres du continent pour 2017, selon Hannah O'Leary.

"Je pense qu'en ce moment, l'Afrique de l'Ouest est la région la plus dynamique et intéressante sur tout le continent", confie la chargée de communication du groupe, qui a fait le déplacement jusqu'à Accra pour Chale Wote.

"Ce qu'il se passe au Ghana est très encourageant", se réjouit-elle. "On peut sentir qu'un nouveau mouvement se prépare. Et ce n'est pas seulement des peintures ou des photographies, mais aussi des sculptures ou des performances d'artistes, ce qui était beaucoup moins courant jusqu'à présent".

Côté punk

Malgré la demande internationale et un marché en expansion, l'aide publique pour la culture reste rare au Ghana.

L'art n'est pas une priorité du gouvernement et les galeries tendent à présenter le travail d'artistes déjà reconnus, plutôt que de promouvoir les jeunes talents.

Mais malgré tout, la scène artistique au Ghana reste prospère. Le petit pays d'Afrique de l'Ouest a vu naître des poids lourds dans le domaine, comme le sculpteur El Anatsui, célèbre pour ses tapisseries en métal, ou encore Ibrahim Mahama, qui réalise des immenses installations recouvertes avec des sacs de jute.

La cofondatrice du festival, Sionne Neely, explique avoir lancé Chale Wote (qui signifie "Mec! On y va!", dans un dialecte local) en 2011 pour offrir une plate-forme aux jeunes artistes et présenter leur travail au plus grand nombre.

"On s'est dit que si les choses devaient changer un jour, ce serait nous qui allions les changer, en associant nos talents, notre énergie et notre passion", se souvient-elle.

Cinq ans plus tard, plus de 200 artistes locaux ou internationaux ont fait le déplacement vers la capitale ghanéenne et des milliers de personnes se sont donné rendez-vous, le temps d'un weekend, dans les rues animées d'Accra, où des boxeurs côtoyaient des hommes recouverts de peintures, ou déambulant sur des échasses.

Pour les artistes comme Ackwerh, "le concept de l'art pour le grand public est encore très très limité. Donc toute opportunité de pouvoir exposer son travail au plus grand nombre est important", explique-t-il.

Même s'ils gardent encore pour certains une réputation de punks, les artistes ghanéens commencent à être reconnus dans la société. Et ce n'est qu'un début.

Gallery 1957, une galerie d'art internationalement reconnue, a ouvert ses portes à Accra en mars. Et en décembre, la ville accueillera sa première Foire international d'art contemporain.

Avec AFP