L'opposante béninoise Reckya Madougou jugée pour "financement du terrorisme"

Reckya Madougou, alors ministre béninoise de la microfinance, visite un orphelinat à Porto-Novo, au Bénin, le 16 février 2009. (archives)

Les principales figures de l'opposition au Bénin sont pour la plupart en exil. 

L'opposante béninoise et ancienne garde des Sceaux Reckya Madougou, arrêtée peu avant l'élection présidentielle, est jugée vendredi pour "financement du terrorisme" à Porto-Novo, la capitale du Bénin, trois jours après la condamnation à 10 ans de prison d'un autre opposant.

Détenue depuis neuf mois, Mme Madougou, 47 ans, est jugée par la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet), instance accusée par ses détracteurs de servir d'instrument juridique du pouvoir pour museler l'opposition. Elle encourt jusqu'à 20 ans de prison.

L'ancienne ministre, dont la candidature à l'élection présidentielle du 11 avril avait été rejetée, avait été arrêtée quelques semaines avant le scrutin qui a vu le président Patrice Talon être réélu pour un second mandat avec plus de 86% des voix.

Mise en examen et écrouée début mars à Cotonou, la capitale économique, l'opposante est accusée d'avoir financé une opération visant à assassiner des personnalités politiques pour empêcher la tenue du scrutin et ainsi "déstabiliser" le pays.

"Le dossier est complétement vide et c’est un dossier monté de toutes pièces car il s’agit exclusivement d’une accusation politique", a déclaré jeudi soir à l'AFP l'un de ses avocats, Me Antoine Vey, arrivé de Paris pour assurer la défense de sa cliente aux côtés de ses avocats béninois.

"Si le procès était équitable, il n’y a aucun doute qu’elle serait libérée et complètement acquittée", a-t-il affirmé, avant d'ajouter : "Nous craignons une lourde condamnation".

Peu après 07H00 GMT, Mme Madougou est arrivée dans une fourgonnette d'une administration pénitentiaire devant le tribunal où quelques-uns de ses partisans l'attendaient, certains vêtus de T-shirt blancs à son effigie proclamant: "Libérez Reckya Madougou".

10 ans de prison pour trahison

Un cordon policier a été mis en place autour du tribunal pour éviter tout débordement, ont constaté des journalistes de l'AFP.

Malgré les statistiques "alarmantes de la Criet" en matière de condamnation d'opposants politiques, selon Me Vey, Mme Madougou est apparue détendue, levant le pouce ou le poing pour saluer un proche ou l'un des quelques membres de l'opposition ayant fait leur entrée dans la salle d'audience.

Car ce tribunal spécial, mis en place par le pouvoir en 2016, est accusé par ses détracteurs de servir d'instrument judiciaire pour museler l'opposition.

Moins d'une semaine avant l'élection présidentielle de 2021, le juge de la chambre des libertés de la Criet Essowé Batamoussi avait fui le pays et dénoncé des pressions exercées par le pouvoir, notamment dans l'incarcération de Mme Madougou.

Investie par le parti "Les Démocrates" de l’ancien président de la République Thomas Boni Yayi, ennemi du président Talon, Mme Madougou s'était portée candidate à la présidentielle de 2021 en dénonçant notamment l’absence de pluralisme de l'élection.

Patrice Talon avait reçu en septembre M. Yayi - critique de la présidence et qui réclame la libération des opposants politiques - en signe d'apaisement, cinq ans après leur dernière rencontre.

Mardi, la Criet a condamné l'opposant Joël Aïvo à 10 ans de prison notamment pour "complot contre l'autorité de l'Etat" et "blanchiment de capitaux". L'universitaire en détention depuis huit mois avait été arrêté au lendemain de la réélection du président Talon.

Détention "très difficile"

La même cour avait condamné en 2018 Sébastien Ajavon, important opposant arrivé troisième lors de la précédente présidentielle, à 20 ans de prison pour trafic de drogue. Il a de nouveau été condamné début mars par contumace à une deuxième peine de cinq ans de prison ferme pour "faux, usage de faux et escroquerie". Il vit désormais en exil.

Depuis début mars, Mme Madougou est incarcérée à la prison civile de Missérété.

Ses avocats ont à plusieurs reprises alerté sur ses conditions de détention "très difficiles", sans aucun contact avec l'extérieur hormis avec son équipe juridique.

En octobre, ils affirmaient qu'elle était privée de promenade et partageait une pièce de huit mètres carrés avec dix autres détenues.

Patrice Talon, richissime homme d'affaires ayant fait fortune dans le coton, élu une première fois en 2015, est accusé d'avoir engagé le Bénin dans un tournant autoritaire au nom du "développement de son pays".

Les principales figures de l'opposition au Bénin sont pour la plupart en exil.