Le virus du tilapia perturbe le marché du poisson au Bénin

Un homme marche sur une route à Cotonou, Benin, le 5 mars 2016.

A l'embarcadère de Djassin de Porto Novo, les poissonnières se plaignent que "le tilapia n'arrive plus sur les étalages depuis quelques jours": le Bénin a interdit partiellement l'importation de ce poisson très populaire, au grand dam des consommateurs et des sociétés du port de Cotonou.

Le gouvernement, pour des raisons sanitaires, a décidé de suspendre "l'importation par les voies terrestres, maritimes, aériennes et fluviales de poisson tilapia" en provenance de cinq grands pays d'exportation: l'Equateur, la Colombie, l'Egypte, Israël et la Thaïlande.

Cette nouvelle mesure, mise en place depuis près d'un mois, survient après une alerte lancée par la FAO (l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture), mettant en garde contre le virus TiLV, hautement contagieux.

"Si l'agent pathogène ne pose pas de risques pour la santé publique, il peut néanmoins décimer les populations (de poissons) infectées", note le communiqué de la FAO.

En 2015, la production mondiale de tilapias issus de l'aquaculture et des captures s'élevait à 6,4 millions de tonnes et valait environ 9,8 milliards de dollars, tandis que le commerce mondial de tilapias représentait environ 1,8 milliard de dollars, selon la FAO.

"Les tilapias sont la deuxième plus importante espèce aquacole en termes de source de nourriture, d'emplois, de revenus domestiques et de revenus liés à l'importation, et ce, pour des millions de personnes, y compris les petits exploitants", poursuit l'agence de l'ONU.

Cette sorte de carpe cultivée dans les eaux douces ou saumâtres et très bon marché, est un aliment de base dans de nombreux pays africains. Mais la filière est régulièrement entachée de scandales sanitaires.

Coup dur

Depuis la dernière alerte de la FAO, trois pays, grands consommateurs et producteurs (la RDC, le Bénin, et dernièrement la Côte d'Ivoire), ont interdit toute importation de ce poisson provenant des pays infectés.

La nouvelle a été un coup dur pour les sociétés importatrices de poissons, qui souffrent déjà de la récession du voisin nigérian - marché de 180 millions d'habitants - et des mesures de protectionnisme économique drastiques du président Muhammadu Buhari mises en place en 2016.

Au Bénin, le risque que "le virus ne contamine le tilapia produit" localement était trop important, selon le gouvernement: le secteur de la pisciculture locale emploie en effet plusieurs milliers de personnes.

Au port de Cotonou, le poumon économique du Bénin, des cargaisons entières de tilapias congelés attendent de recevoir le feu vert des douanes.

Une employé d'une compagnie leader de la distribution de produits agro-alimentaires confie à l'AFP qu'elle craint "de se retrouver à la rue avec cette mesure", comme cela a été le cas pour plusieurs de ses collègues.

"La situation est pénible", a-t-elle expliqué, sous couvert de l'anonymat. "Cela nous fait des manques à gagner et de l'argent en moins."

'Prudence'

Les consommateurs, eux, ne veulent plus toucher au tilapia, même s'il est produit localement ou importé de Chine, pays non-concerné par le virus.

Françoise Assogba Comlan, secrétaire générale au ministère de l'Agriculture et de la Pêche, se devait de faire cette précision: "l'interdiction du poisson tilapia ne porte pas sur sa consommation mais sur son importation."

Trop tard, les consommateurs se sont tournés vers d'autres variétés de poissons.

Sur les marchés, les prix de la sardine ou du maquereau ont doublé.

Alexandrine Kouakanou, tenancière d'un maquis (petit restaurant de rue) à Cotonou, a "laissé tomber la préparation du tilapia qu'il soit local ou importé", sur les conseils de "prudence" de sa fille étudiante.

"Depuis lors, je ne sers plus que du poisson chat", explique la restauratrice.

Même discours du côté des clients: "mon inquiétude c'est de savoir quelles mesures on prend pour que nos frontières qui sont si poreuses ne laissent pas passer le poisson à virus dans le pays", s'interroge Sébastien Lokonon en mangeant son poisson chat.

Les pêcheurs locaux, eux, peuvent enfin profiter de cette mesure protectionniste.

Yémalin Hounsou, un responsable de pêcheurs de la commune lacustre des Aguégués, a expliqué à l'AFP comment "les produits de pêche s'écoulent vite" ces dernières semaines, même si par ailleurs "le tilapia et les poissons en général se font rares dans les eaux" béninoises.

Avec AFP